L'éducation

Depuis son instauration au début du 19e siècle, l'enseignement public à Terre-Neuve et au Labrador a été façonné en grande partie par la religion et l'économie. À cette époque, l'économie reposait sur une seule industrie : la pêche. À partir de 1843, l'Église catholique et les Églises de dénomination protestante avaient la mainmise sur le système d'éducation.

Du début du 19e siècle aux années 1930, les recettes gouvernementales de Terre-Neuve et du Labrador dépendaient presque entièrement des droits de douane, lesquels fluctuaient en fonction de la situation économique. Par conséquent, les dépenses liées à l'éducation ne pouvaient être assumées entièrement par les impôts et elles étaient soumises à une source de revenus relativement limitée et précaire. Cette situation restreignait le nombre et la taille des écoles et des installations en plus de limiter considérablement le salaire des enseignants.

L'influence religieuse

Au cours des décennies qui ont précédé l'année 1843, plusieurs écoles privées telles que la St. John's Charity School, l'Orphan Asylum School, diverses académies classiques et les écoles de la Newfoundland School Society n'étaient pas confessionnelles. Quant aux écoles faisant partie du système public d'éducation instauré par la Loi sur l'éducation de 1836, elles accueillaient des enfants issus de familles de toutes croyances.

École du village de Mosquito, 1998
École du village de Mosquito, 1998
Construite vers 1820, cette école du village de Mosquito (maintenant Bristol's Hope) permet de voir à quoi ressemblaient, dans les années 1800, les écoles en bois des villages isolés.
© 1998. Fondation du Patrimoine de Terre-Neuve-et-Labrador

Toutefois, peu de temps après l'adoption de la loi de 1836, les forces protestantes, inspirées par l'aile militante du mouvement évangélique de l'Église anglicane et stimulées par une vague internationale contre la papauté très forte à l'époque, ont contesté la loi en prétextant que celle-ci excluait la Bible du roi Jacques autorisée par l'Église anglicane et accordait trop d'influence aux catholiques romains, lesquels composaient la moitié de la population. Cette campagne anti-catholique ayant fini par gagner la sphère politique, le gouvernement britannique, influencé par les rumeurs fantaisistes d'une éventuelle révolution catholique, a adopté la Loi sur Terre-Neuve en 1842.

Cette loi a restreint le pouvoir des membres élus en fusionnant l'Assemblée et le conseil en un seul corps législatif composé de membres élus et de membres nommés où les catholiques étaient minoritaires. La Loi sur l'éducation de 1843, parrainée par les protestants et à laquelle les catholiques ont été forcés d'acquiescer, partageait les allocations pour frais scolaires entre les protestants et les catholiques. Cette façon de faire a donné jour à un système d'éducation confessionnel qui, à force d'ajouts et d'amendements à la loi, a perduré pratiquement jusqu'à la fin du 20e siècle.

Dans les années 1850, l'éducation était une préoccupation constante. L'évêque anglican Edward Feild faisait campagne afin que les allocations pour frais scolaires versées aux protestants soient divisées entre les anglicans et les méthodistes. Hugh Hoyles, un futur premier ministre, présentait cette proposition au Parlement année après année, mais il a échoué parce que la plupart des membres s'opposaient farouchement à l'instauration d'autres formes de partage des allocations.

Au cours des années 1850 et 1860 ainsi qu'au début des années 1870, il a fallu déployer des efforts constants pour maintenir une éducation adéquate malgré les ressources limitées. Des rapports démontraient que la plupart des écoles étaient inadéquates, que les enseignants manquaient de formation et étaient sous-payés, que les installations et l'équipement étaient insuffisants, sans compter que plusieurs conseils scolaires étaient inefficaces. En 1858, le gouvernement a adopté un projet de loi visant à augmenter le financement de l'éducation, à instaurer dans les collèges de St. John's un système pour former les jeunes qui voulaient devenir enseignants et à rétablir le système d'inspecteurs (inactif depuis 1845). Ces changements n'ont toutefois été pleinement en vigueur que plusieurs années plus tard au cours du 19e siècle.

L'évêque Feild et ses partisans ont poursuivi leur campagne pour diviser les allocations attribuées aux protestants. Les méthodistes se sont opposés à ce genre de partage, mais en 1874, après des manœuvres compliquées, Feild est parvenu à les convaincre de l'appuyer même si son idée ne faisait pas l'unanimité. L'année précédente, un comité restreint avait prôné une réforme du système d'éducation en recommandant notamment la création d'un ministère de l'Éducation et d'une école normale pour la formation des enseignants. La Loi de 1874 n'a pas tenu compte de ces propositions et a partagé les allocations pour frais scolaires versées aux protestants entre l'Église anglicane et les méthodistes. La possibilité de réforme a été ainsi anéantie par des vagues d'antagonisme sectaire.

La Loi sur l'éducation de 1876 a transformé le poste d'inspecteur en celui plus prestigieux de surintendant des écoles. Les trois surintendants des groupes confessionnels se sont vu confier davantage de pouvoirs dans toutes les sphères liées à la direction des écoles publiques. Dans les faits, le gouvernement a transféré aux églises la plus grande partie de ses responsabilités en matière d'éducation. Les trois confessions religieuses (d'abord les méthodistes) se sont empressées d'ouvrir de nouvelles écoles, et ce, souvent aux dépens des salaires des enseignants qui ont baissé au cours des décennies suivantes.

De faibles taux de fréquentation

En 1900, moins de 5 enfants sur 10 âgés entre 5 et 15 ans fréquentaient l'école, et les niveaux étaient faibles en lecture, en écriture et en calcul (les trois clés du savoir). Les ressources allouées à l'enseignement public ne représentaient que 5 p. 100 de l'ensemble des dépenses gouvernementales, soit le taux le plus bas depuis 1861. Dans la plupart des écoles, les composantes du programme d'études étaient la lecture, l'écriture, les mathématiques de même qu'un peu d'histoire et de géographie. Pire encore, plusieurs enseignants certifiés abandonnaient leur profession pour trouver des emplois mieux rémunérés.

Entre 1890 et 1920, deux changements importants ont toutefois contribué à améliorer grandement la situation. En 1893, on a procédé à la mise sur pied du Conseil de l'enseignement supérieur, un organisme interconfessionnel dont la mission principale consistait à préparer les examens et à élaborer un programme d'études approprié. Et, en 1920, le ministère de l'Éducation fut créé.

Bien que les années 1920 aient été marquées par la création d'un ministère de l'Éducation, d'une école normale et du Memorial University College, le premier tiers du 20e siècle aura été une période de stagnation dans le domaine de l'enseignement public. À Terre-Neuve et au Labrador, le début de la crise économique mondiale de 1929 a eu des effets dévastateurs dans le domaine de l'éducation. En 1932-1933, les allocations pour frais scolaires ont été réduites de moitié (500 000 $ au lieu de 1 000 000 $), ce qui a entraîné une baisse des salaires proportionnelle pour les enseignants ainsi que la fermeture de nombreuses écoles. Peu de temps après, le Dominion étant au bord de la faillite, le gouvernement responsable a été suspendu et remplacé par une Commission de gouvernement établie par Londres en 1934.

Le Memorial University College, Parade Street, St. John's, 1923
Le Memorial University College, Parade Street, St. John's, 1923
Avec la permission des archives provinciales, The Rooms (NA 39-97), St. John's, T.-N.-L.

La Commission de gouvernement

Au cours de ses quinze années en fonction, la Commission de gouvernement, avec l'aide de subventions de la Grande-Bretagne, a rétabli le statu quo de 1932-1933 (lequel a été prolongé un peu plus longtemps) en augmentant le nombre d'écoles et les dépenses liées à l'éducation. Elle a toutefois été incapable de réaliser son but avoué de créer un système d'écoles publiques non confessionnelles à cause de l'opposition acharnée des églises.

Malgré quelques améliorations, le système d'éducation que la Commission a remis entre les mains du gouvernement libéral élu en 1949 – après l'entrée dans la Confédération – n'était pas tellement différent de celui qui était en place au début du 20e siècle. La plupart des écoles étaient petites, construites en bois et ne comptaient qu'une pièce unique. Il n'y avait qu'un seul enseignant par école et l'emprise des églises sur le système d'éducation était plus puissante que jamais. Le système confessionnel était enchâssé dans la Loi sur Terre-Neuve entérinant l'adhésion de Terre-Neuve et du Labrador à la Confédération canadienne.

Les premiers gouvernements libéraux, sous la gouverne de Joseph Smallwood, ont toutefois été en mesure de mener une véritable révolution dans le monde de l'éducation. Grâce aux paiements de transfert et aux prestations de sécurité sociale versés par le gouvernement fédéral, l'éducation a progressé à tous les niveaux et est devenue plus accessible. L'amélioration des communications, la construction de grandes écoles secondaires centrales et la bonification du programme de bourses ont permis à une multitude d'étudiants de s'inscrire à la Memorial University nouvellement fondée. Cette université comptait une faculté d'éducation où l'on formait les enseignants qui allaient pourvoir les postes dans les écoles, lesquelles étaient de plus en plus nombreuses dans la province. Un réseau d'écoles professionnelles a également été créé.

En 1967-1968, la Commission d'enquête sur l'éducation a proposé des améliorations au programme d'enseignement de même que la simplification et la rationalisation du système confessionnel. En 1968, le gouvernement a octroyé aux Assemblées pentecôtistes les mêmes droits à l'éducation garantis par la constitution que ceux qui étaient accordés jusque-là à l'Église catholique romaine, à l'Église anglicane du Canada, à l'Église unie du Canada et à l'Armée du salut. Peu de temps après, les principales dénominations protestantes ont été fusionnés pour former un « conseil scolaire amalgamé ». Au milieu des années 1970, malgré quelques faiblesses, le système d'éducation offrait à maints égards une qualité qui répondait aux normes nationales.

Les années 1949 à 1975 ont constitué l'âge d'or de l'éducation dans a province, mais les années suivantes ont toutefois été marquées par un certain déclin. La situation économique s'est détériorée, les paiements de transfert ont été réduits, les dépenses liées à l'éducation ont diminué et le climat idéologique a beaucoup changé.

L'adaptation aux besoins économiques

Traditionnellement, l'éducation avait pour but de favoriser le développement de l'individu en s'inspirant de l'héritage humaniste issu de la Renaissance. En 1986, les rapports Building On Our Strengths et Education for Self-Reliance publiés à la suite d'une commission d'enquête ont présenté une idéologie fondamentalement différente. La province s'apprêtait à aller de l'avant en devenant une « société post-industrielle » qui mettrait désormais en valeur l'informatisation, les transports modernes, la haute technologie, les systèmes de communication et un dynamique secteur tertiaire. L'éducation bonifierait le « capital humain », et la formation serait dorénavant scientifique, entrepreneuriale, générale et flexible.

Cette adaptation du monde de l'éducation aux besoins de l'économie, mise de l'avant par l'idéologie néo-libérale de la nouvelle droite américaine, a trouvé sa pleine expression dans Change and Challenge (1992), un document du gouvernement libéral de Clyde Wells. L'éducation était alors considérée comme « la clé du développement économique ». Son but était de produire une main-d'œuvre flexible et dotée de compétences entrepreneuriales pouvant répondre aux besoins de la nouvelle économie mondiale. La même année, la Commission d'enquête sur l'éducation a exposé quelques-unes de ces idées et, en 1994, divers projets visant à réformer le programme d'enseignement en accord avec cette nouvelle vision ont été élaborés.

Une autre facette de la réforme en éducation a aussi été mise à l'ordre du jour : mettre fin au système confessionnel traditionnel pour réduire ou éliminer le pouvoir des Églises qui cherchaient à contrôler de nombreux aspects dans le monde de l'éducation. Après des négociations prolongées, surtout avec l'Église catholique romaine et les Églises pentecôtistes qui s'opposaient férocement à cette réforme, et à la suite de deux référendums en faveur du changement, le gouvernement libéral de Brian Tobin a finalement adopté la loi qui allait remplacer le système confessionnel par un système laïque, et ce, 155 ans après la première loi sur l'éducation confessionnelle.

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