Les répercussions de l'exode rural

La décennie qui suit l'imposition du moratoire sur la pêche à la morue en 1992 en est une de décroissance démographique continue pour Terre-Neuve-et-Labrador. L'exode est plus important que jamais. La baisse du taux de natalité et le nombre insuffisant d'immigrants ne font qu'aggraver la situation. Les villes aussi connaissent une diminution constante de leur population, mais ce sont surtout les petites collectivités qui en souffrent le plus. Entre 1991 et 2001, près de 48 000 personnes quittent leurs collectivités rurales, soit un recul démographique de 18 p. 100. Les régions centrées sur la pêche sont celles qui sont le plus dévastées, notamment la péninsule Northern, des districts de la péninsule d'Avalon, ainsi que les côtes nord-est et sud de l'île.

Trinity, 2005
Trinity, 2005
L'exode des habitants de Trinity augmente après l'imposition du moratoire sur la pêche à la morue en 1992.
Photographe inconnu. Avec la permission d'Image Services, Marketing and Communications, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L. © 2008.

En raison de cet exode massif, les régions rurales font face à de graves problèmes socio-économiques. Pour de nombreuses petites collectivités, l'entretien des routes et la prestation des services éducatifs, médicaux et publics se compliquent, car le nombre de travailleurs est réduit et l'assiette fiscale limitée. Les petites villes et les villages peuvent donc difficilement recruter des immigrants ou endiguer le départ de leurs citoyens. Ce mouvement d'émigration perturbe les rapports sociaux. La famille et les amis sont dispersés. Il pourrait même occasionner la disparition de certaines collectivités rurales.

Une assiette fiscale en déclin

Cette contraction démographique s'accompagne d'une réduction des recettes municipales. Si l'assiette fiscale, c'est-à-dire les impôts fonciers et les taxes municipales, s'atrophie à cause d'une diminution du nombre de contribuables, les petites collectivités doivent donc renoncer à la construction de routes, de ponts et de lignes électriques, à la prestation de services ou au remboursement de la dette. Il en coûte plus cher au gouvernement provincial de maintenir des ressources essentielles telles que des établissements scolaires et de soins de santé en milieu rural avec l'éparpillement d'une faible population. Les épiceries, les restaurants et autres établissements commerciaux sont également moins tentés d'avoir pignon sur rue dans des collectivités isolées ou peu habitées.

L'abandon graduel des services en milieu rural abaisse le niveau de vie. Les résidents doivent souvent parcourir un long trajet pour obtenir des soins médicaux, poursuivre leur scolarité et se procurer des biens de consommation. Sinon, ils doivent accepter de se priver des biens et services qu'offrent les centres urbains. Parallèlement, le vieillissement des populations rurales fait monter la demande en soins médicaux et services publics.

La préservation de la qualité des services encore offerts constitue un autre problème de taille. La réfection des routes, des bâtiments publics et des installations se bute à la détérioration de l'assiette fiscale de nombreuses municipalités. De plus, la rétention du personnel professionnel se révèle ardue. Les médecins, les infirmières et les enseignants établis en milieu rural desservent souvent des bassins de population plus vastes qu'en centre urbain. Le niveau de service est donc variable.

Le déplacement des populations

Les régions rurales sont aux prises avec le perpétuel problème du départ des jeunes gens vers les grandes villes. La majorité d'entre eux sont de jeunes adultes entre 15 et 24 ans, ou des familles avec de jeunes enfants. Ils quittent leur petite collectivité pour une foule de raisons différentes, la principale étant la recherche d'un emploi, ou l'accès plus facile à des établissements de santé et d'éducation.

Baie Bonne, T.-N.-L., 2006
Baie Bonne, T.-N.-L., 2006
Les régions rurales sont aux prises avec le perpétuel problème du départ des jeunes gens vers les grandes villes.
Photographe inconnu. Avec la permission d'Image Services, Marketing and Communications, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L. © 2008.

Cette désertion des jeunes aggrave la situation. Au lieu de prendre part à la bonne marche de leur collectivité, de mettre sur pied des entreprises locales ou de participer à la dynamisation des collectivités rurales, ils exportent leurs talents et leur énergie ailleurs. Si les plus jeunes générations ne remplacent pas les précédentes, l'existence de nombreuses collectivités est compromise.

Déjà, le départ d'un nombre si élevé de jeunes gens modifie les caractéristiques démographique de petites collectivités. Sans le contrepoids des jeunes, elles n'ont pour seuls habitants que des personnes vieillissantes. Il est vrai que la société canadienne est également vieillissante, mais cette tendance est beaucoup plus marquée en région rurale qu'en zone urbaine, particulièrement à Terre-Neuve-et-Labrador. Le vieillissement de la population et l'émigration continuelle des jeunes gens laissent peu de chance aux économies locales qui continuent de sombrer faute d'un nombre suffisant de travailleurs. Pourtant, ces mêmes citoyens vieillissants pèsent déjà lourds sur les établissements de soins de santé en milieu rural.

Les répercussions sociales

Cet exode rural influe sur le bien-être émotionnel et collectif, autant pour ceux qui quittent que ceux qui restent. Bon nombre de résidents ont vu partir au moins un membre de leur famille ou un ami. Non seulement cette situation bouleverse-t-elle les rapports sociaux, mais l'appui si important des proches n'est plus là, que ce soit sur le plan émotionnel, financier ou autre. Le mal du pays frappe rapidement les migrants. Ils reviennent vite au foyer, pour repartir à nouveau se chercher du travail, dans un va-et-vient parfois incessant.

Fogo, T.-N.-L., 2006
Fogo, T.-N.-L., 2006
De nombreux habitants de petites collectivités rurales de Terre-Neuve-et-Labrador ont vu partir au moins un membre de leur famille ou un ami.
Photo prise par Jody Cairns et reproduite avec sa permission. © 2008.

De même, bien des enfants grandissent en sachant qu'ils devront probablement partir plus tard pour gagner leur vie ou poursuivre leur scolarité postsecondaire. Pendant des générations, les jeunes étaient pêcheurs comme leurs aînés - parents et voisins - sur lesquels ils pouvaient compter pour leur enseigner les secrets du métier. C'est terminé. L'industrie de la pêche est transformée. Cette activité qui a forgé l'identité et le caractère des collectivités rurales est différente post moratoire. Les jeunes gens ne croient plus trouver dans leur collectivité des sources d'emploi lucratif. Ils possèdent moins le sentiment d'appartenance à leur collectivité. Certains désirent vraiment partir alors que d'autres n'ont pas le choix.

En plus d'un taux de chômage élevé, l'exode rural résulte d'autres facteurs contributifs. Par exemple, la dissémination à grande échelle des produits de consommation et de divertissement nord-américains après l'union avec le Canada mène au changement des valeurs et des attitudes dans les collectivités rurales. Les jeunes gens comparent leur mode de vie à ceux des protagonistes des émissions de télévision américaines ou à celui exposé dans les magazines et les journaux. Certains constatent l'impossibilité de leur collectivité à leur procurer une gamme complète de services et à leur offrir toutes les possibilités voulues, contrairement aux villes. Ils plient bagage et se dirigent vers les agglomérations urbaines. Les jeunes familles partent également s'installer en centre urbain pour bénéficier de meilleurs services de santé et d'éducation, et bien d'autres commodités.

L'exode rural amène les résidents à se questionner sur leur avenir et à tenter de s'adapter à un mode de vie en mutation. Plusieurs ignorent s'ils pourront continuer à vivre dans leur collectivité. Certains se demandent si d'autres voisins et proches partiront à leur tour. Deux choix s'offrent aux jeunes gens : rester dans leur collectivité où les emplois sont souvent peu nombreux, ou se tailler un avenir incertain dans une ville qu'ils ne connaissent pas.

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