La Commission royale d'enquête sur l'enseignement et la jeunesse de 1968

Le système d'éducation de Terre-Neuve et du Labrador a subi de nombreuses améliorations au cours des 15 années qui ont suivi l'adhésion à la Confédération, mais il n'atteignait pas encore les normes canadiennes. Les taux d'abandon et d'analphabétisme demeuraient élevés, les enseignants étaient parmi les moins bien formés au pays et beaucoup d'élèves des régions rurales fréquentaient des écoles qui n'avaient qu'une seule pièce et qui ne disposaient pas de bibliothèques, de gymnases et des autres équipements offerts dans les écoles canadiennes plus grandes.

En décembre 1964, afin de remédier à la situation, le gouvernement provincial a créé une Commission royale d'enquête sur l'enseignement et la jeunesse. Il a mandaté Philip J. Warren (Ph. D.), professeur en éducation à la Memorial University of Newfoundland, pour diriger la Commission; le gouvernement a aussi nommé 11 autres membres qui avaient tous de l'expérience dans le domaine de l'éducation ou des affaires. Le rôle de la Commission consistait à étudier le système d'éducation provincial sous toutes ses facettes et à faire des recommandations pour le perfectionner.

Au cours des deux années suivantes, la Commission a visité des écoles dans 41 collectivités et a tenu des audiences publiques et privées dans toute la province. Elle a accepté 147 soumissions écrites provenant des conseils scolaires, autorités ecclésiastiques, entreprises, organismes et simples particuliers, et elle a distribué des questionnaires aux fonctionnaires de l'éducation. La Commission a aussi lancé des projets de recherche traitant de différents aspects du système d'éducation, notamment le personnel enseignant, la réussite scolaire et le financement de l'éducation. Elle a également examiné comment les autres provinces et pays géraient leurs propres systèmes scolaires.

La Commission a présenté au gouvernement le premier volume de son rapport en janvier 1967 et le second en octobre de la même année. Parmi ses 340 recommandations, les plus importantes concernaient la laïcisation du ministère de l'Éducation, la fusion des écoles et des conseils scolaires, la bonification du programme d'études, l'amélioration de la formation des enseignants et la construction d'écoles plus grandes et mieux équipées. Sa recommandation suggérant de modifier la nature confessionnelle du ministère de l'Éducation a suscité un débat public et créé des divisions au sein même de la Commission, ce qui a poussé trois de ses membres à présenter un rapport minoritaire.

Les conclusions de la Commission

La Commission a conclu que les changements sociaux survenus depuis l'adhésion de Terre-Neuve et du Labrador à la Confédération avaient fait de l'éducation une priorité plus importante que jamais. Elle a observé que la mécanisation et les progrès technologiques faisaient disparaître des emplois dans les domaines de la pêche et de la foresterie, tandis qu'il y avait de nouvelles occasions d'emploi pour les scientifiques, ingénieurs, techniciens, enseignants et autres professionnels ayant reçu une formation. « En fait, a écrit la Commission, la demande pour ces types de compétences excédera probablement l'offre, ce qui créera de nombreux postes vacants qu'il sera impossible de pourvoir en puisant dans les rangs des chômeurs. » [Traduction libre] (Vol. 1, p. 4)

La Commission a aussi souligné que les normes provinciales en matière d'éducation ne répondaient pas aux besoins en main-d'œuvre plus qualifiée. Elle a dévoilé que la province avait le taux d'abandon le plus élevé au Canada, sauf au sein des écoles catholiques romaines du Québec. Les élèves qui n'abandonnaient pas l'école obtenaient généralement de moins bons résultats en lecture et en mathématique par rapport aux normes nationales. Ceux qui vivaient dans les régions rurales avaient tendance à avoir des notes inférieures à celles des élèves des régions plus peuplées dotées d'écoles mieux équipées où enseignaient certains des enseignants les plus qualifiés de la province.

La Commission a attribué la mauvaise performance des élèves à divers facteurs : un programme d'études limité et désuet, une pénurie d'enseignants ayant reçu une formation adéquate et un grand nombre de petites écoles mal équipées et disséminées sur tout le territoire de la province. Elle a conclu que le maintien de nombreuses écoles et conseils scolaires absorbait une bonne partie du budget provincial consacré à l'éducation et permettait difficilement d'offrir des salaires convenables aux enseignants et de payer pour l'achat d'équipement scolaire, la modernisation des écoles et les autres besoins. La Commission a indiqué que la province avait 1266 écoles en 1965 et que 845 (67 p. 100) d'entre elles disposaient de moins de quatre salles de classe. Elle a noté que les petites écoles subissaient de nombreux inconvénients : charges de travail trop lourdes pour les enseignants, programme d'études limité, toilettes et équipements sanitaires inadéquats ainsi qu'un manque de laboratoires, de bibliothèques, de gymnases et d'équipement sportif.

La Commission a déclaré que la nature confessionnelle du système d'éducation aggravait le problème en forçant la province à payer inutilement pour un nombre d'écoles trop élevé. Selon les Conditions de l'union, les confessions chrétiennes avaient le droit de gérer leurs propres écoles et conseils scolaires en utilisant l'argent des contribuables. En 1960, les Églises catholique romaine, anglicane, unie, presbytérienne, pentecôtiste et adventiste du septième jour, de même que l'Armée du salut, avaient toutes leurs propres écoles. Dans certaines collectivités, le gouvernement devait maintenir plusieurs écoles alors qu'une seule aurait suffi.

Recommandation pour laïciser le ministère de l'Éducation

La première recommandation de la Commission – et aussi la plus controversée – proposait que le ministère de l'Éducation soit réorganisé en fonction de l'utilité plutôt que des confessions religieuses : si le ministère devenait une division administrative laïque, comme tous les autres ministères de la province, l'influence des Églises sur les délibérations politiques serait ainsi réduite.

Au moment de la publication du rapport, cinq superintendants représentant l'Église anglicane, l'Église catholique romaine, l'Église unie, l'Armée du salut et les Assemblées pentecôtistes siégeaient au conseil de l'Éducation. Chaque superintendant avait droit de veto sur toute nouvelle politique concernant les conseils scolaires, les écoles et les enseignants, ce qui donnait à ces cinq confessions religieuses un pouvoir immense dans le domaine de l'éducation.

La Commission croyait que les Églises « auraient intérêt à moins miser sur le contrôle de l'entreprise éducative et à se consacrer davantage au développement et à l'amélioration des programmes d'éducation religieuse dans les écoles. » [Traduction libre] (Vol. 1, p. 69) Elle recommandait que le conseil de l'Éducation soit aboli et remplacé par un réseau de comités qui conseillerait le ministre de l'Éducation et comprendrait des représentants d'organismes et de groupes publics pertinents ainsi que des porte-parole des Églises.

Trois commissaires se sont opposés à cette recommandation et ont exposé leurs arguments dans un rapport minoritaire. Ils s'entendaient sur le fait que les failles inhérentes au système confessionnel avaient entraîné l'ouverture d'un grand nombre d'écoles qui ne respectaient pas les normes, ce qui empêchait souvent les élèves des régions rurales de bénéficier d'une éducation adéquate. Ils insistaient toutefois sur le fait que les églises ne devraient pas être privées de leur rôle traditionnel en tant que décideurs politiques au sein du ministère de l'Éducation. Sinon, ont-ils écrit, « cela ouvrirait la porte à une éducation entièrement laïque » [Traduction libre] (vol. 1, p. 195) et contreviendrait à la clause 17 des Conditions de l'union, laquelle protège les droits et privilèges des écoles confessionnelles. Les cinq confessions religieuses ont toutefois fini par accepter que le ministère devienne laïque.

Autres recommandations

La Commission a fait d'autres recommandations au sujet de l'administration de l'éducation. Sa principale recommandation concernait la réduction du nombre de conseils scolaires, lequel passerait dorénavant de 230 à 35 environ. La Commission a déclaré que les conseils scolaires de petite taille n'avaient pas les ressources financières nécessaires pour procurer une éducation de qualité. Leur fusion amènerait la création de conseils scolaires plus imposants qui auraient conséquemment plus d'argent pour construire de meilleures écoles et offrir des services spécialisés tels que des programmes en santé, des ressources pour les bibliothèques, des moyens audiovisuels ainsi que des cours de musique, d'éducation physique, d'économie domestique et d'arts appliqués.

La Commission a aussi recommandé une vaste fusion des écoles pour réduire le nombre de petits bâtiments mal équipés à travers la province. Elle a estimé que le nombre minimal d'inscriptions devrait être de 500 élèves pour les écoles offrant des cours de la septième année à la onzième année et de 300 pour celles offrant des cours de la neuvième année à la onzième année. Quant aux écoles primaires/élémentaires, elles devraient obtenir un nombre suffisant d'inscriptions pour avoir droit à un enseignant différent pour chaque cycle. Surtout, a écrit la Commission, « rien ne peut justifier la présence de deux écoles ou plus dans une petite collectivité. » [Traduction libre] (Vol. 1, p. 102)

D'autres recommandations ont touché le monde de l'enseignement. La Commission a recommandé que la province hausse les normes pour la formation des enseignants afin que, dès 1980, tous les enseignants du primaire/élémentaire aient terminé un programme d'études universitaires de quatre ans, et tous ceux du secondaire un programme de cinq ans. En 1964-1965, seulement 13,4 p. 100 des enseignants détenaient un diplôme universitaire. La Commission a aussi recommandé de diversifier le programme d'études afin que les élèves aient droit à un choix de matières plus vaste et elle a également suggéré que les élèves de tous les cycles aient accès à la télévision éducative, à de l'équipement audiovisuel et à d'autres moyens technologiques.

Les réactions

Le rapport de la Commission a donné lieu à des changements importants et profonds dans l'administration et l'offre en éducation à Terre-Neuve et au Labrador. La Loi sur le ministère de l'Éducation (1968) a permis de réorganiser ce dernier en fonction de l'utilité plutôt qu'en fonction des confessions religieuses. La législation a aboli le poste de superintendant octroyé à des membres de groupes religieux et a créé des conseils d'éducation confessionnels (Denominational Education Councils - DEC's), ce qui ne faisait pas partie des recommandations prescrites dans le rapport de la Commission. Ces nouveaux conseils d'éducation confessionnels n'étaient pas intégrés au ministère, mais, par leur entremise, les églises conservaient leur pouvoir de conseiller le gouvernement, notamment à propos des limites des conseils scolaires, de la formation, de la sélection et de la certification des enseignants, de la nomination des conseillers scolaires et des cours d'éducation religieuse.

Une loi supplémentaire a accordé aux conseils scolaires fusionnés les mêmes droits et privilèges qu'aux conseils scolaires confessionnels. Au cours de l'année qui a suivi la publication du rapport, les systèmes scolaires des Églises anglicane, presbytérienne et unie ainsi que celui de l'Armée du salut ont fusionné pour former un système protestant intégré. Ce changement a entraîné une importante diminution du nombre d'écoles et de conseils scolaires dans la province. De plus, le nombre de systèmes confessionnels distincts a été réduit à trois : catholique romain, pentecôtiste et protestant intégré. Warren a écrit en 1970 que la législation de 1968 « pourrait, à long terme, s'avérer l'une des décisions les plus importantes qui ait été prise en matière d'éducation dans la province ». [Traduction libre] (Warren p. 4)

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