Francophones acadiens de la côte ouest

En 1755, les Britanniques expulsent les Acadiens de la Nouvelle-Écosse. Ils brûlent leurs villages et confisquent leurs biens. Les Acadiens qui habitent actuellement la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick et l'Île-du-Prince-Édouard en sont redevables à leurs ancêtres. En effet, ces derniers ont simplement refusé d'accepter la saisie de leurs terres pendant le Grand Dérangement. Ils sont soit revenus de leur exil forcé à l'étranger ou, après s'être enfuis en lieu sûr sur le continent, ils ont refait surface une fois tout danger écarté.

Dans les années 1840, le plus grand flux migratoire d'Acadiens vers la côte ouest de Terre-Neuve provient de l'île du Cap-Breton. Il semble que les premiers Acadiens mettent les pieds sur la côte ouest entre 1760 et 1780 (Gary R. Butler, p. 28). Vraisemblablement, dès 1770, au moins deux familles vivent dans la région de Stephenville - baie Saint-Georges (Gerald Thomas, 1983, p. 29). En 1830, cette région compte 2000 habitants dont 1200 sont des Acadiens (Charles de La Morandière, p. 1179). Entre 1850 et 1868 dans la baie Saint-Georges, près de 68 p. 100 des 750 enfants catholiques sont nés de pères acadiens et 12 p. 100 de pères français (John J. Mannion, p. 237).

En 1850, près de 80 p. 100 des habitants de la région parlent le français. Ce pourcentage englobe les francophones qui ne sont pas Acadiens. (Gary R. Butler, p. 32). L'importance de la population francophone cette année-là justifie la venue d'un prêtre de langue française (John J. Mannion, p. 237).

Île Rouge, vers 1899
Île Rouge, vers 1899
L'île Rouge était la plus importante collectivité francophone dans la presqu'île de Port-au-Port à cette époque.

Tiré de The Illustrated London News, 14 janvier 1899, vol. 114, p. 40-41.

Subsistance des Acadiens

S'il est évident que le Grand Dérangement a chassé les Acadiens hors de l'Acadie, ce qui les a entraînés vers la côte ouest de Terre-Neuve l'est beaucoup moins. Peut-être les rapports politiques capricieux qu'entretiennent l'Angleterre et la France menacent leurs moyens de subsistance et entravent leur retour sur l'île du Cap-Breton (Gary R. Butler, p. 29). Peut-être sont-ils d'abord attirés par la pêche à la morue et au hareng avant de compter principalement sur l'agriculture pour vivre (John J. Mannion, p. 234).

Au cours du 19e siècle, un petit nombre d'Acadiens s'adonnent à la pêche à la morue, mais la plupart subsistent grâce à l'agriculture. Ils font pousser des légumes (pomme de terre, navet et chou) et font l'élevage du bétail pour s'approvisionner en viande, beurre et lait (John J. Mannion, p. 254). La chasse et la cueillette de petits fruits enrichissent leur alimentation (Nicole Lamarre, p. 144).

Les immigrants français

Les immigrants originaires de France représentent un faible pourcentage de la population francophone de la baie Saint-Georges. À l'instar des Français qui s'établissent aux confins de la presqu'île de Port-au-Port, ceux de la baie Saint-Georges fuient souvent les tâches subalternes auxquelles ils sont affectés dans le secteur de la pêche ou cherchent à éviter le service militaire en France (John J. Mannion, p. 234-235). D'autres ont pour mandat de veiller sur les installations de pêche pendant l'hiver (Gary R. Butler, p. 34). Contrairement aux Acadiens, les Français ont tendance à s'assimiler. Les peuplements français sont interdits en vertu du traité d'Utrecht. Ils préfèrent sans doute dissimuler leur identité en se fondant le mieux possible dans la population. La solitude d'un long hiver en incite peut-être d'autres à se marier dans une famille de langue anglaise (Charles de La Morandière, p. 1179). Peu importe la raison, les Français prennent souvent pour épouse une anglophone et adoptent parfois sa religion et sa nationalité (Gary R. Butler, p. 34).

Assimilation

Bien qu'ils émigrent sur la côte ouest de l'île par familles entières, les Acadiens n'échappent pas à l'assimilation. Face au nombre grandissant d'anglophones, le pouvoir religieux et les institutions scolaires jouent de leur influence.

Stephenville est fondée en 1846, mais ce n'est qu'environ 50 ans plus tard que la première école ouvre ses portes (John T. Stoker, p. 351). L'enseignement se fait en anglais. Il est interdit aux élèves de parler en français à l'école. Des Acadiens en viennent donc tout naturellement à mépriser leur propre langue, car ils sont persuadés que d'en connaître même quelques bribes nuira à leur mobilité sociale. L'Église est avant tout anglophone et les autorités religieuses conseillent fortement aux parents acadiens de donner des prénoms anglais à leurs enfants. L'anglais devient de plus en plus la langue apprise aux enfants (L'Évangéline, p. 3).

Les francophones se font maintenant plus rares à Stephenville et ses environs, dans la baie Saint-Georges. Les collectivités francophones d'autrefois se limitent à quelques locuteurs francophones. Le français ne s'y parle plus couramment, sauf peut-être par quelques aînés.

L'installation d'une base américaine à Terre-Neuve en 1941 est en grande partie responsable de cette assimilation à très grande échelle des Acadiens. Bien avant cette date pourtant, l'assimilation à des collectivités anglophones est répandue et incontestable. Prenons pour exemple le compte rendu d'un voyage sur la côte ouest de l'île en 1929 :

« ... l'un des traits typiques de cette population, c'est la facilité avec laquelle elle s'anglicise... dans la collectivité de St-George's, la modification des patronymes est fréquente et singulière. LePours est devenu Power, Beurgeron, Burshell, Benoit, Bennett... Il y a 30 ans, de nombreux habitants ne parlaient même pas un mot d'anglais. De nos jours, l'anglais est compris et parlé… partout. Surtout, un grand nombre d'enfants de familles francophones ne peuvent plus parler le français ou ne veulent plus parler que l'anglais. » (Georges N. Tricoche, p. 211) [Remarque : Traduction en français d'une traduction du français à l'anglais.]

Le même auteur souligne que, contrairement à la région St-George's, l'assimilation des francophones à Stephenville se poursuit plus lentement. Même si les Acadiens de la région de Stephenville sont isolés, des liens existent tout de même avec d'autres parties du monde francophone. Ainsi, à l'époque de ce voyage à Terre-Neuve, il est possible que des personnes âgées de Stephenville lisent des journaux francophones comme Le Courrier des États-Unis de New York et La Presse de Montréal (Georges N. Tricoche, p. 212).

Stephenville s'anglicisera elle aussi, comme les régions environnantes. Avant 1941 et l'installation de la base américaine, 95 p. 100 des 1300 citoyens de Stephenville parlent le français. Vingt ans plus tard, il n'y avait que 690 francophones parmi les 11 000 habitants (John T. Stoker, p. 349 et 352).

L'évolution de Stephenville

L'arrivée du chemin de fer au début du 19e siècle marque l'avènement de grands changements que traverseront les Acadiens de Stephenville sur une courte période. Avant la construction à Harmon Field de la base américaine en 1941, une carrière de calcaire entre en activité à Aguathuna, tout prêt de l'isthme joignant la presqu'ile de Port-au-Port à Terre-Neuve. Elle attire de nouveaux arrivants dans la région (Paul M. Charbonneau, p. 41). Une nouvelle route facilite dorénavant l'accès aux agglomérations et l'ouverture de plusieurs scieries. Les Acadiens troquent alors leur gagne-pain dans les secteurs de la pêche et de l'agriculture pour un travail rémunéré (E. Waddell et C. Doran, p. 151).

Les nouvelles infrastructures qui améliorent l'accès à la région dynamisent l'économie dans la baie Saint-Georges. Cette situation favorise la venue de Terre-Neuviens anglophones, mais aussi l'abandon d'un mode de vie traditionnel pour une économie de préférence anglophone fondée sur le salariat.

Il n'y a peut-être presque plus de francophones à Stephenville et en région, mais l'histoire des Acadiens ne s'évanouit pas si facilement. Plusieurs noms de lieux sur la côte ouest rappellent le lien acadien. Stephenville, autrefois L'Anse-aux-Sauvages, est le prénom anglicisé du fils d'un des premiers habitants acadiens, Étienne Gallant (Stephen étant l'équivalent anglais d'Étienne). Le nom de la collectivité voisine, Kippens, résulterait de la prononciation acadienne du patronyme anglais Keeping, le nom du propriétaire d'une scierie locale. De même, le nom de la localité de Romaines pourrait bien être rattaché à celle d'une famille acadienne (Gerald Thomas, 1986, p. 268).

Baie des Îles, vers 1899
Baie des Îles, vers 1899
Une vue de la baie des Îles.

Tiré de The Illustrated London News, 14 janvier 1899, vol. 114, p. 40-41.

Un article publié dans un journal de Moncton en 1948 affirme qu'environ 8000 francophones sont établis entre la rivière Grand Codroy et la baie des Îles (L'Évangéline, p. 3). De nos jours, les boîtes aux lettres des Aucoin, Benoit, Blanchard, Bourgeois, Chaisson, Cormier, Doucet(te), Gallant et Leblanc signalent bien la présence des Acadiens, de Corner Brook à Stephenville en passant par Stephenville Crossing, Kippens, St. George's et la vallée de Codroy. Qu'ils soient écrits dans leur graphie originale ou anglicisée, ces patronymes sont encore très courants (Gerald Thomas, 1982, p. 25-31).

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