La religion et la politique, 1832-1855

La religion joue un rôle crucial dans le paysage politique à l'époque du gouvernement représentatif. La première élection générale a lieu en 1832. Cette année-là, le gouvernement britannique promulgue la British Catholic Relief Act, une loi qui accorde aux catholiques la totalité des droits civils et politiques. Une lutte de pouvoir s'engage rapidement entre la tête dirigeante de la colonie, soit la classe supérieure anglicane, et les catholiques d'origine irlandaise. Ces derniers constituent un peu plus de la moitié de la population de l'île à la suite d'une arrivée massive d'immigrants irlandais à la fin du 18e siècle et au début du 19e siècle.

Église catholique, Burin, 1849
Église catholique, Burin, 1849
La religion joue un rôle crucial dans la colonie à l'époque du gouvernement représentatif.
Tiré de Newfoundland: a Pictorial Record de Charles de Volpi. Longman Canada Limited, Québec, Sherbrooke, © 1972, p. 29.

Même si le nombre de députés catholiques élus est élevé à la Chambre d'assemblée, les gouverneurs nomment dans une écrasante majorité des représentants anglicans au conseil exécutif et à d'autres postes d'importance. Pour de nombreux citoyens catholiques, ce choix traduit une ferme intention de la part du milieu anglican de conserver la mainmise sur le pouvoir politique. Cette situation ne fait qu'intensifier les conflits interconfessionnels. Le clergé, qui cherche à promouvoir les droits des catholiques, s'engage souvent dans les campagnes électorales et appuie les candidats qui semblent prendre fait et cause pour leurs paroissiens.

La lutte pour les droits des catholiques

Dans les années précédant l'avènement d'un gouvernement représentatif, les droits des catholiques se transforment en enjeu capital, principalement en raison des événements qui se produisent en Grande-Bretagne. En effet, l'homme politique irlandais Daniel O'Connell se bat pour l'émancipation des catholiques depuis le début du 19e siècle. Il obtient gain de cause en 1829 avec l'adoption de la Catholic Emancipation Act. Cette loi abolit les restrictions imposées aux catholiques en matière de droits civils. Ils peuvent donc dorénavant exercer diverses charges publiques.

Daniel O'Connell (1775-1847), s.d.
Daniel O'Connell (1775-1847), s.d.
Au début du 19e siècle, l'homme politique irlandais Daniel O'Connell se bat pour l'émancipation des catholiques au Royaume-Uni. Sa campagne pousse le gouvernement à adopter, en 1829, la Catholic Emancipation Act, une loi qui abolit les restrictions imposées aux catholiques en matière de droits civils. Ils peuvent donc dorénavant exercer diverses charges publiques.
Artiste inconnu. Reproduit avec la permission de J. E. FitzGerald, © 2001.

À cette époque, la population catholique de l'île est en croissance grâce à l'arrivée massive d'immigrants irlandais entre 1790 et 1815. En mai 1829, la nouvelle de l'émancipation parvient jusqu'à la colonie. Le pourcentage de catholiques s'élève alors à environ 52 %. Nombreux sont ceux qui se réjouissent de cette victoire pour les droits des catholiques, mais ils déchantent quelques mois plus tard lorsqu'ils apprennent que la Grande-Bretagne n'a nullement l'intention d'en faire bénéficier aussi les citoyens de la colonie.

Cette situation suscite le mécontentement chez les catholiques et déclenche la tenue de plusieurs réunions de protestations et l'envoi de pétitions. Ce n'est tout de même pas avant 1832 que la Grande-Bretagne consent à étendre l'acte d'émancipation à la colonie, c'est-à-dire la même année qu'elle lui accorde le droit à un gouvernement représentatif. Auparavant, les gouverneurs ou le gouvernement britannique choisissaient les administrateurs de la colonie, tous des anglicans.

Alors que la colonie s'apprête à tenir sa première élection générale à l'automne 1832, les électeurs catholiques, en plus grand nombre, ont la possibilité de bousculer le rapport des forces et de ravir le pouvoir à la classe marchande protestante. Les enjeux de nature politique et religieuse se rapprochent, car les candidats, le clergé, les journalistes et bien d'autres intervenants cherchent à influencer le vote des différentes couches sociales.

L'élection de 1832

Cette première élection a lieu en novembre. Les électeurs, tous des citoyens mâles, font élire 15 députés provenant des neuf circonscriptions de l'île. La campagne électorale s'amorce en septembre et se déroule assez bien dans la majorité des villages côtiers. Dans la circonscription de St. John's, cinq candidats rivalisent pour l'obtention de trois sièges. Les enjeux qu'ils défendent sont rapidement définis en fonction d'un cadre confessionnel.

La tension monte en septembre lorsque Henry Winton, propriétaire du journal local, le Public Ledger, attaque le candidat John Kent. La campagne de ce dernier porte sur les droits des catholiques irlandais. Il déclare Henry Winton un anticatholique qui se sert de sa publication pour permettre à l'élite protestante de garder le pouvoir. Henry Winton demande alors à Mgr Michael Fleming, le chef de l'Église catholique sur l'île, de prendre officiellement ses distances de la campagne de John Kent. Monseigneur Fleming décide plutôt d'appuyer ouvertement le candidat ainsi que William Carson, un presbytérien, et William Thomas, un membre de l'Église anglicane.

John Kent (1805-1872), s.d.
John Kent (1805-1872), s.d.
Au cours de l'élection générale de 1832, l'homme politique John Kent mène une campagne électorale axée sur les droits des catholiques irlandais.
Artiste inconnu. Tiré de Centenary volume, Benevolent Irish Society of St. John's, NL, 1806-1906, Benevolent Irish Society (St. John's, T.-N.-L.). Guy & Co., Cork, Ireland, 1906, p. 124.

John Kent et William Thomas remportent chacun un des sièges de la circonscription. Le troisième élu à la Chambre d'assemblée est le conservateur Patrick Kough. Les incidents associés à la campagne électorale de 1832 confirment que la religion est un sujet brûlant. La tension qui sévit dans la circonscription de St. John's se répand aux autres circonscriptions et perdure pendant des années. Deux groupes antagonistes en quête de pouvoir font rapidement leur marque sur la scène politique. D'une part, le Parti libéral réformiste qui soutient les catholiques, les méthodistes et les droits de la classe ouvrière, et d'autre part, le Parti conservateur ou tory qui représente l'Église anglicane et la classe marchande.

Les tensions religieuses

Bien que le nombre de députés catholiques élus à la Chambre d'assemblée en 1832 et aux élections suivantes soit important, aucun représentant catholique ne fait partie du puissant conseil exécutif nommé par le gouverneur, et ce, jusqu'en 1840. Pourtant, même après cette date, la plupart des personnes nommées sont de confession anglicane, ce qui ne manque pas de soulever la colère des habitants catholiques. Pour bon nombre d'entre eux, le gouvernement semble estimer plus respectable la religion protestante que la religion catholique. Ils craignent que le gouverneur et les autres représentants gouvernementaux exercent leur pouvoir pour maintenir les privilèges de l'élite protestante.

Pour la plupart des gouverneurs, Mgr Fleming est un agitateur. Ils souhaitent affaiblir l'influence qu'il exerce sur les électeurs. C'est ce que désire également l'office des colonies qui intervient d'ailleurs quatre fois auprès du Saint-Siège à Rome. Il veut obtenir son départ de la colonie. Toutefois, le Saint-Siège appuie en grande partie les actions de cet évêque, même si le pape Grégoire XVI ordonne au clergé local et à son évêque en 1838 de ne pas se mêler de la joute politique. Monseigneur Fleming obéit à cet ordre pendant deux ans avant d'offrir son soutien au candidat catholique Lawrence O'Brien à l'élection de 1840.

Monseigneur Michael Anthony Fleming (1792-1850), s.d.
Monseigneur Michael Anthony Fleming (1792-1850), s.d.
Monseigneur Michael Fleming, un évêque catholique, participe fréquemment à la vie politique de l'île à l'époque du gouvernement représentatif. Plusieurs gouverneurs jugent qu'il n'est qu'un agitateur, un provocateur, et veulent affaiblir son influence sur les électeurs.
Artiste inconnu. Tiré de Ecclesiastical History of Newfoundland, M. F. Howley. Doyle and Whittle, Boston, 1888, p. 1.

La combinaison de disputes religieuses et de tensions sociales dans l'espace politique sème le trouble et la violence. Ainsi, dans les années 1830, les éditoriaux d'Henry Winton provoquent l'hostilité des citoyens. Ces éditoriaux critiquent le clergé catholique, les habitants d'origine irlandaise, le mouvement de réforme et les chasseurs de phoques. Lorsqu'il soutient un candidat conservateur au cours d'une élection partielle en 1833, et s'en prend aussi à Mgr Fleming, des manifestants s'attroupent devant sa maison le jour de Noël. Des militaires appelés en renfort les dispersent. Deux ans plus tard, cinq inconnus l'agressent durant un déplacement entre les collectivités de Carbonear et Harbour Grace, et lui mutilent les oreilles.

Un vote divisé

Le sectarisme qui prévaut sur la scène politique ne signifie pas que les citoyens catholiques choisissent unanimement le même candidat. Les paroissiens votent en fonction d'enjeux particuliers ou leur milieu social. Des citoyens catholiques fortunés, haut placés et étroitement liés à la classe marchande protestante se dressent contre Mgr Fleming et le Parti libéral. Parmi eux, le candidat conservateur Patrick Kough qui a reçu une partie du vote catholique au cours de l'élection de 1832, et Eliza Boulton, la femme du juge en chef Henry Boulton, un conservateur.

Le vote protestant n'est pas davantage unifié. Plusieurs citoyens anglicans provenant de la classe ouvrière se montrent favorables au programme électoral du Parti libéral, car il dénonce l'emprise des marchands et défend les droits des pêcheurs. Les méthodistes de la branche wesleyenne ont eux aussi plutôt tendance à donner leur appui aux candidats libéraux après 1833. Cette année-là, l'Église anglicane combat un projet de loi qui accorderait plus de droits au clergé méthodiste. John Kent, un partisan de la réforme, appuie sans réserve le projet de loi à la Chambre d'assemblée et finit par le faire adopter.

Église wesleyenne, Carbonear, 1846
Église wesleyenne, Carbonear, 1846
Dans la colonie, les méthodistes de la branche wesleyenne accordent plutôt leur appui aux candidats libéraux après 1833.
Tiré de Newfoundland: a Pictorial Record, de Charles de Volpi. Longman Canada Limited, Québec, Sherbrooke, © 1972, p. 28.

Préoccupés par l'enseignement confessionnel, les méthodistes sont donc bien disposés envers le Parti libéral dans les années 1850. L'évêque anglican Edward Feild désire modifier la répartition du financement public consacré aux écoles protestantes en proportion des élèves protestants et méthodistes. Les méthodistes s'y opposent, car ils craignent une détérioration de la qualité de l'enseignement. Environ 70 % des protestants sont d'obédience anglicane. Cette répartition avantagerait énormément l'Église anglicane qui recevrait la majorité de cette subvention. Les députés du Parti libéral courtisent avec succès les méthodistes en empêchant systématiquement le Parti conservateur de fractionner le financement.

Le Parti libéral parvient à obtenir la majorité des sièges lors de l'élection générale de 1852 grâce au vote des catholiques et des méthodistes. Ils persuadent la Grande-Bretagne de consentir à l'instauration d'un gouvernement responsable en 1855.

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