Le programme de relocalisation

"La relocalisation, maintenant, alors que c'est payant."

Outport People
Simani, 1986

[Traduction libre]


La relocalisation devient un élément inséparable de la modernisation du secteur de la pêche lorsque les usines de transformation du poisson frais en produit congelé éclipsent la production de poisson séché. En 1965, la province signe une entente de cinq ans avec le gouvernement fédéral. Le programme de relocalisation des pêcheurs remplace le programme de centralisation qu'administrait le ministère du Bien-être provincial. C'est aux ministères des Pêcheries des deux ordres de gouvernement à qui revient la gestion de ce nouveau programme. Composé de 10 fonctionnaires provinciaux et de 5 fonctionnaires fédéraux, le comité de relocalisation est chargé de prendre les décisions. En 1967, le programme relève du nouveau ministère du Développement communautaire et social, mais le ministère fédéral des Pêcheries y prend toujours part.

Le déplacement d'une habitation de la baie Trinity, T.-N.-L, vers 1968
Le déplacement d'une habitation de la baie Trinity, T.-N.-L, vers 1968
En vertu du programme de relocalisation, le chef d'un ménage reçoit un montant de 1000 $ servant à payer les frais de déplacement de son habitation et tout autre bâtiment. Consultez la section Moving House du site Resettlement des Archives d'histoire maritime (Maritime History Archive) pour voir d'autres photographies.
Avec la permission des Archives d'histoire maritime (PF-317.072), Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

La théorie du pôle de croissance

Le « plan de relocalisation », qui se distingue du programme de centralisation, s'inspire des travaux de l'économiste anglais du 17e siècle, William Petty, sur la théorie du pôle de croissance. Cette dernière présume que le développement industriel d'une région attire d'autres entreprises et en stimule la croissance démographique. Au contraire du programme de centralisation, le nouveau programme incite la population rurale à se relocaliser dans des « centres de croissance » plutôt que dans des régions sans avenir économique. Il propose trois catégories d'accueil : les centres de croissance associés au secteur de la pêche, les centres autorisés de relocalisation des pêcheurs et les autres localités d'accueil approuvées.

Le processus de relocalisation

En vertu de la Loi sur la relocalisation adoptée en 1965, la tenue d'une assemblée publique est obligatoire. Au moins 50 p. 100 des chefs de ménage d'une collectivité envisageant la relocalisation doivent y participer. Cette première étape est suivie de l'adoption d'une résolution par l'assemblée. Cette résolution doit clairement énoncer la volonté de la collectivité à se relocaliser. La collectivité choisit ensuite les trois personnes qui formeront le comité qui la représentera dans ses négociations auprès du ministère des Pêcheries de la province (le ministère du Développement communautaire et social après 1967). Puis, le comité fait signer une pétition pour la relocalisation. Il doit recueillir au moins la signature de 90 p. 100 (80 p. 100 à partir de 1967) des chefs de ménage, en plus d'y préciser la localité de relocalisation choisie. Enfin, un juge de paix vérifie si la pétition contient bien le nombre de signatures nécessaire.

La pétition du village de Western Cove, 1965
La pétition du village de Western Cove, 1965
Le village de Western Cove est situé sur l'île Bar Haven dans la baie Placentia, T.-N.-L. Consultez la section Documents du site Resettlement des Archives d'histoire maritime (Maritime History Archive) pour voir d'autres photographies.
Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Collection A. G. Stacey), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Le chef d'un ménage est le ou la responsable du groupe composant un ménage. Un groupe peut comprendre des membres de la famille, des locataires, des employés, au moins deux personnes non apparentées ou deux familles partageant une même habitation, ou même une personne vivant seule. Le mot ménage englobe aussi les biens personnels à l'intérieur de l'habitation, ou tout instrument de travail sur les lieux. Si le chef d'un ménage est absent au moment de signer la pétition, le comité l'en informe dès son retour. S'il appuie la relocalisation, il doit en aviser par lettre le comité. Celui-ci la joint à la pétition. La conjointe du chef d'un ménage peut aussi apposer sa signature en son absence. Le chef d'un ménage qui n'a pas signé la pétition, mais qui part de son village avec ses concitoyens peut obtenir une aide financière aux mêmes conditions si celui-ci ou celle-ci s'installe dans une collectivité approuvée.

Le comité de la collectivité expédie la pétition au directeur du programme de relocalisation des pêcheurs. À l'approbation de la pétition, chaque chef d'un ménage remplit un formulaire du ministère des Pêcheries. Il reçoit ensuite une subvention de 1000 $ pour les frais de déplacement de son habitation et tout autre bâtiment. Si les bâtiments restent sur place, ce montant sert d'indemnisation pour les tracas et contretemps qu'ont entraînés le déménagement et la relocalisation. Un montant de 200 $ est prévu pour chaque membre du ménage. Il est possible de présenter des reçus pour les frais de déplacement et de déménagement des effets personnels, du matériel de pêche, des bateaux et du bétail. Souvent, cette subvention facilite le remorquage par voie navigable des habitations vers la nouvelle collectivité. Par exemple, au début des années 1960, le marchand local du village de Spencer's Cove, situé dans la baie Placentia, a fait construire un bateau pour remorquer les habitations de ses concitoyens. M. Samuel Williams, un habitant du village de Tack's Beach, toujours dans la baie Placentia, a déplacé jusqu'à Arnold's Cove des habitations sur une distance de 24 kilomètres à l'aide de son propre bateau. De vieilles photos montrent le bateau Goose Lake qui déménageait encore des habitations à la fin de 1969.

Conformément à l'entente conclue en 1965, seul le chef d'un ménage qui habite un village autorisé à recevoir de l'aide financière du comité de relocalisation des pêcheurs y a droit. Avant de pouvoir y toucher, il doit au préalable se relocaliser dans le centre de croissance prévu, ou dans toute autre localité agréée de la province, remplir convenablement le formulaire de compensation financière et présenter les reçus des frais de déplacement et de déménagement comme le stipulent les règlements.

Le gouvernement provincial peut ordonner la destruction des bâtiments abandonnés dans la collectivité afin d'éviter le retour possible des habitants. La règlementation interdit de revenir dans la collectivité, de l'habiter ou d'y construire une nouvelle habitation sans autorisation.

La maison abandonnée de Jessie Marsh, Deer Harbour, 1992
La maison abandonnée de Jessie Marsh, Deer Harbour, 1992
Les habitations abandonnées dans les villages n'ont plus de valeur. Très peu d'habitants ont les moyens d'acheter ou de construire une habitation ailleurs malgré la subvention à la relocalisation accordée. Le village de Deer Harbour est abandonné en 1965. Consultez la section Deer Harbour du site Resettlement des Archives d'histoire maritime (Maritime History Archive) pour voir d'autres photographies.
Avec la permission des archives d'histoire maritime (PF-317.057), Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Les problèmes

Les personnes âgées, les veuves et les familles nombreuses sont confrontées à de graves problèmes. Le plus aigu est le manque de logements à prix abordable. Un grand nombre d'habitants sont doublement perdants. D'abord, les habitations abandonnées ne valent plus rien. Ensuite, même la subvention gouvernementale ne permet pas à la majorité des villageois d'acheter ou de construire une nouvelle habitation. Les personnes âgées, qui ont peu de chance de se trouver du travail, ne disposent pas des moyens financiers nécessaires pour repartir de zéro. Les veuves avec de jeunes enfants vivent la même situation. Enfin, les familles nombreuses sont dans l'incapacité financière de construire une habitation répondant à leurs besoins, et le nombre de maisons adaptées à leurs besoins est plus que limité. Le gouvernement finira plus tard par consentir des allocations supplémentaires de 3000 $ pour régler ce problème.

Lettre de Raymond Combden à Isaac Mercer, 1958
Lettre de Raymond Combden à Isaac Mercer, 1958
Cette lettre exprime les inquiétudes et les doutes qu'entretiennent bien des gens sur le programme de relocalisation. Consultez la section Documents du site Resettlement des Archives d'histoire maritime (Maritime History Archive) pour voir d'autres photographies.
Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Collection A. G. Stacey), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Selon le sociologue Ralph Matthews, on ne sait trop qui a tiré avantage de la relocalisation. De nombreuses familles cultivaient des jardins potagers et élevaient du bétail dans leur village. Elles doivent maintenant se procurer les denrées qu'elles produisaient elles-mêmes. Le départ des habitants cause de lourdes pertes aux marchands locaux qui doivent aussi abandonner magasin, entrepôt et quai. Vers la fin des années 1960, une analyse coût-avantage révèle que le chef d'un ménage moyen mettra plus de 20 ans à effacer ses pertes financières, et ce, à condition d'avoir un emploi stable. D'un point de vue social, les familles en bénéficient assurément, par exemple une meilleure formation scolaire pour les enfants, la proximité de soins de santé et des infrastructures modernes. Les centres de croissance n'ont pourtant pas tenu les promesses que laissait miroiter la théorie du pôle de croissance. Depuis 1977, la province affiche un taux de chômage qui reste résolument élevé.

La relocalisation n'était qu'un des volets du plan de modernisation et de diversification de l'économie terre-neuvienne. Pourtant, l'exode des habitants des villages côtiers n'a pas donné à la province son autonomie économique. Une hausse démographique submerge certains centres de croissance. Ce surpeuplement désavantage le surplus de main-d'œuvre et engorge le système scolaire. Les résidants de longue date des collectivités d'accueil ne voient pas toujours d'un bon œil l'arrivée de ces villageois, surtout ceux d'autres confessions religieuses. De fait, ni le gouvernement ni la population visée ne sont préparés à faire face aux conséquences de la relocalisation. Pour plusieurs, ce bouleversement a laissé un goût amer qui persiste encore de nos jours.

Aux yeux du gouvernement, le programme de relocalisation, beaucoup plus que le programme de centralisation, constitue un franc succès. Entre 1965 et 1970, le programme a déplacé 16 114 personnes, soit 3242 ménages provenant de 119 villages au coût de 5 011,582 $ pour le gouvernement fédéral et de 2 428,198 $ pour le gouvernement provincial. Ainsi, la subvention moyenne versée à chaque ménage s'élève à 30 743 $ ou 462 $ par tête. Ce montant de nos jours (2017) atteindrait 196 853 $ par ménage et 2956 $ par tête. Les coûts du programme totaliseraient 48 351 338 $.

En 1970, les gouvernements fédéral et provincial prolongent le programme de cinq ans. Toutefois, l'appui au programme s'éteint lorsque le Parti libéral de J. R. Smallwood perd le pouvoir en 1971 aux mains du Parti conservateur dirigé par Frank Moores.

English version

Vidéo : La relocalisation