La politique provinciale de 1972 à 2001

Le Parti progressiste-conservateur, avec pour chef Frank Moores, est élu en 1972 en promettant une plus grande démocratisation du gouvernement. Frank Moores se livre donc au remaniement nécessaire du cabinet et des ministères. Les ministres exerceront dorénavant de plus vastes responsabilités dans leur ministère respectif. Son gouvernement est cependant accaparé par l'achèvement des travaux de grande envergure mis en branle par le Parti libéral telles la raffinerie de pétrole de Come By Chance et l'usine de carton doublure de Stephenville. Les coûts associés à ces deux chantiers peu judicieux pèsent lourd sur le gouvernement et aggravent la dette publique alors qu'un ralentissement économique frappe la province.

L'usine de carton doublure de Stephenville, s.d.
L'usine de carton doublure de Stephenville, s.d.
Dessin de l'usine de carton doublure de Stephenville. La construction de cette usine et de la raffinerie de Come By Chance aggrave la dette publique.
Artiste inconnu. Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. - 75, 5.04.076), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Il ne fait plus de doute, après 1973, que l'entente signée entre Terre-Neuve et Hydro-Québec pour l'aménagement hydroélectrique de Churchill Falls n'a pas été elle aussi mûrement réfléchie puisque c'est le Québec qui touche les revenus générés par les augmentations du coût de l'énergie. Cette entente solidifie la notion que les gouvernements terre-neuviens ont simplement cédé les ressources naturelles de la province à des entreprises étrangères en échange de quelques emplois à court terme.

Frank Moores cherche à corriger les erreurs présumées du gouvernement Smallwood en déployant un train de mesures visant à reprendre la gestion des ressources naturelles.

Frank Moores (1933-2005), s.d.
Frank Moores (1933-2005), s.d.
Frank Moores est premier ministre de Terre-Neuve de 1972 à 1979.
Photographe : Valerie Lilly Studios. Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. - 75, 5.04.840), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Le gouvernement appuie l'élargissement au plateau continental des compétences d'Ottawa sur les pêches, et l'exploration pétrolière des Grands Bancs.

Le gouvernement Peckford

La nomination de A. Brian Peckford à la tête du Parti progressiste-conservateur en 1979 ne change en rien les politiques sur les ressources. À titre de ministre de l'Énergie dans le gouvernement Moores, il avait d'ailleurs participé à l'orientation des politiques rattachées au secteur pétrolier et gazier. La possibilité que ce secteur d'activité soit une source de prospérité comme en Alberta permet d'espérer que les citoyens de Terre-Neuve et du Labrador finissent par devenir maîtres chez eux.

Le style politique de Brian Peckford illustre plusieurs traits symptomatiques des Terre-Neuviens et Labradoriens ayant vécu l'époque du gouvernement Smallwood. Il se montre prêt à affronter Ottawa. Brian Peckford lutte pour l'élaboration de politiques fédérales avantageuses pour sa province. Il sait exploiter le réveil d'un nationalisme provincial et aligne ainsi les victoires électorales, car il s'engage à se battre pour arracher de meilleurs accords au sein de la Confédération. Il affirme vouloir ainsi mettre fin au « complexe d'infériorité » de sa province. En réponse aux habitants qui remettent en question les décisions prises en 1948 par leurs ancêtres, Brian Peckford veut une province plus forte et se range du côté des premiers ministres provinciaux désireux de décentraliser l'État canadien. Il hausse le ton lorsque la Cour suprême du Canada statue en 1984 que les ressources océaniques du plateau continental appartiennent au fédéral. Le sentiment d'amertume suscitée par cette décision s'atténue lorsque le gouvernement canadien convient de mettre sur pied un conseil de gestion fédéral-provincial et de partager les redevances pétrolières et gazières.

L'orientation nationaliste donne peu de résultats. L'électorat s'impatiente devant cette combativité qui ne mène concrètement nulle part. L'octroi de subventions à une entreprise hydroponique de culture de concombres qui échoue sème la consternation. Ce sont les révélations du quotidien The Sunday Express à ce sujet qui incitent finalement Brian Peckford à démissionner de son poste. Le règne du Parti progressiste-conservateur (1972-1989) est parsemé de quelques succès, mais l'économie reste fragile. Le chômage ne faiblit pas, tout comme l'exode des habitants et les déficits publics. La promesse de Brian Peckford d'un avenir meilleur n'avait pas vu le jour.

La renaissance du Parti libéral

Les députés progressistes-conservateurs semblent languir pendant que le gouvernement Smallwood tient les rênes du pouvoir entre 1949 et 1968. Le Parti libéral vit la même situation dans les années 1970 et 1980. Lorsque Joseph Smallwood tente un retour sur la scène politique en 1975, comme chef du Liberal Reform Party, il soutire des votes au Parti libéral que dirige Edward Roberts, et facilite ainsi l'élection de Frank Moores. Plusieurs circonscriptions rurales élisent toujours des députés libéraux après 1979, mais les dirigeants du Parti libéral qui se succèdent ne parviennent pas à surmonter l'argumentation populiste de Brian Peckford. La province est cependant mûre pour un changement. L'attitude bagarreuse du gouvernement n'a pas répondu aux grandes attentes de la population, et l'ombre de Joseph Smallwood sur le Parti libéral s'est enfin dissipée.

Les électeurs choisissent donc les Libéraux dont le chef, Clyde Wells, semble être l'antithèse de Brian Peckford. Il est plus calme et pragmatique. Élu en 1989, le gouvernement libéral est immédiatement incommodé par la controverse que soulèvent les propositions d'amendement de la constitution canadienne contenues dans l'Accord du lac Meech. Clyde Wells penche pour un gouvernement fédéral fort et des provinces égalitaires. Il s'oppose à un statut particulier pour le Québec. Néanmoins, comparativement aux années Peckford, les relations entre les deux ordres gouvernementaux sont plus cordiales, et ce, même si le fédéral diminue les paiements de transfert aux provinces.

Clyde Wells (1937- )
Clyde Wells (1937- )
Clyde Wells devient le cinquième premier ministre de Terre-Neuve en 1989.
Avec la permission de l'hebdomadaire The Newfoundland Herald. vol. 48, no 18, St. John's, © 1993.

Dans les années 1990, le conservatisme fiscal est de rigueur. La situation économique de la province demeure précaire. Clyde Wells entreprend de se départir des sociétés d'État et de procéder à des suppressions de postes dans la fonction publique. Les fonctionnaires qui échappent aux réductions d'effectifs subissent un gel des salaires. La plupart des électeurs approuvent sa démarche, malgré le mécontentement des employés de l'État. Son échec à privatiser la société Newfoundland Hydro signale clairement que sa confiance dans le secteur privé ne résonne pas auprès de la population. Celle-ci s'inquiète en effet de perdre la gestion de ses ressources.

En 1992, l'effondrement des stocks de morue amène le fédéral à mettre un frein à l'industrie de la pêche, un secteur essentiel depuis toujours à la survie de nombreux villages côtiers de Terre-Neuve et du Labrador. L'exploitation en mer du champ pétrolier Hibernia et ses emplois connexes, ainsi que la hausse des captures d'autres espèces de poisson permettent d'éviter l'écroulement de l'économie et la diminution des recettes gouvernementales. Des programmes d'indemnisation liés au moratoire sur la pêche de la morue du nord et à l'exode des habitants contribuent aussi à atténuer la situation.

La plateforme de forage Hibernia, vers 1997
La plateforme de forage Hibernia, vers 1997
Les emplois associés à l'exploitation du champ pétrolier Hibernia contribuent à empêcher l'écroulement de l'économie lorsque le fédéral impose un moratoire sur la pêche à la morue.
Avec la permission du bureau des affaires publiques d'Hibernia. Tiré de Hibernia Frontier , vol. 2, no 6, Hibernia Public Affairs, St. John's, T.-N.-L.: ©1997, p. 5.

En 1996, Brian Tobin remplace Clyde Wells à la tête du Parti libéral et de la province. C'est un ancien député et ministre fédéral. Il entretient de bons rapports avec Ottawa. Son gouvernement tire parti de la revitalisation du secteur de la pêche et de l'exploitation pétrolière en mer. Face à la crainte de la population de ne plus avoir la mainmise sur ses propres ressources, Brian Tobin devient très populaire en faisant preuve de fermeté. Il tient à ce que la fonte et l'affinage du nickel, extrait d'une nouvelle mine à Voisey's Bay, s'effectuent dans la province. Meilleur communicateur que Clyde Wells, il semble à l'aise dans l'arène politique. Fort de sa popularité, il entend abolir la confessionnalité du système scolaire. La confessionnalité du milieu scolaire prévaut dans la province depuis le milieu du 19e siècle. Brian Tobin revient sur la scène fédérale en 2000. En 2001, Roger Grimes dirige le Parti libéral et le gouvernement.

Après l'entrée de la province dans la Confédération, les partis d'opposition ont souvent eu du mal à se démarquer. Après la démission de Brian Peckford, plusieurs ont occupé le fauteuil de chef de parti. Certains ne semblaient pas posséder pas les qualités nécessaires. En 2001, l'avocat et homme d'affaires Danny Williams semble le plus susceptible de faire élire un gouvernement conservateur. Pour leur part, en date de 2001, les tiers partis (comme le Nouveau Parti démocratique) n'avaient jamais formé un gouvernement.

Les divisions confessionnelles qui caractérisent la scène politique terre-neuvienne presque tout au long des 19e et 20e siècles se sont estompées. Pourtant, les enjeux du développement économique et du clivage rural-urbain nourrissent toujours une fragmentation politique. L'entrée dans la Confédération continuera de faire débat tant que la différence entre le revenu des citoyens de Terre-Neuve et du Labrador et le revenu moyen des autres Canadiens ne se résorbera pas, et tant que Terre-Neuve ne profitera pas pleinement du développement de ses propres ressources naturelles.

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