(Dans cet article, les renseignements sur l'histoire du Colonial Building sont tirés d'une exposition présentée par le service des archives provinciales de Terre-Neuve-et-Labrador. Préparation et organisation de Patti Bannister à l'automne 1997.)

Un bref historique du Colonial Building

En 1832, la colonie de Terre-Neuve obtient enfin le droit à un gouvernement représentatif. Il s'agit maintenant de trouver un toit à la nouvelle assemblée législative. Plusieurs bâtiments l'hébergent avant la construction du Colonial Building en 1850.

Le Colonial Building
Le Colonial Building
Avec la permission du service des archives (VA 3-8), The Rooms, St. John's, T.-N.-L.

Son premier lieu de rassemblement est une auberge tenue par Mary Travers. Le séjour des députés y est de courte durée et se termine plutôt mal. Dans leur empressement, ces députés novices oublient de voter les crédits nécessaires à la location des lieux. Très en colère, Mme Travers saisit donc tous les biens de la Chambre d'assemblée et refuse de les rendre avant le paiement complet du loyer. Les députés se transportent ensuite au Palais de justice de St. John's. Il y reste jusqu'à sa destruction dans le grand incendie de 1846. Ils sont ensuite relogés temporairement dans plusieurs autres bâtiments du centre-ville de St. John's.

À cette époque, la construction d'un édifice permanent est déjà en cours de planification. En 1836, la Chambre d'assemblée adopte une loi autorisant la construction du Colonial Building. Après de longs débats, le chemin Military est l'emplacement choisi. Le concepteur en est l'architecte irlandais James Purcell, venu s'installer à St. John's pour surveiller l'érection de la cathédrale catholique. Le coconcepteur et maître d'œuvre des travaux est Patrick Keough, le directeur général des édifices publics de la colonie.

L'édifice

La pierre d'angle de l'édifice est posée le 24 mai 1847, le jour de l'anniversaire de la reine Victoria. Une foule assiste à la levée de la première pelletée de terre. Cette cérémonie est aussi l'occasion d'enterrer une capsule témoin renfermant de la monnaie du pays, des journaux locaux, des graines du blé cultivé sur l'île, et un document d'information sur l'événement.

Le Colonial Building est inauguré le lundi 28 janvier 1850 à 14 h 30. Le coût de sa construction est évalué à £18 335. C'est encore de nos jours un excellent exemple de belle architecture. Sa façade en calcaire blanc importé d'Irlande est de style néoclassique et ornée de six colonnes ioniques et d'un fronton sculpté aux armoiries royales.

Un journal local, le Royal Gazette and Newfoundland Advertiser, en donne la description suivante : un escalier de 10 marches, s'étalant sur les 27 m de la façade, débouche sur un magnifique hall d'entrée d'une superficie de 9 m sur 6 m. Un grand escalier donne sur deux corridors opposés menant aux tribunes du public du conseil législatif et de la Chambre d'assemblée, à la bibliothèque de la Chambre d'assemblée et aux salles des comités des deux chambres législatives.

Les fresques du plafond

Les fresques réputées de l'édifice se distinguent par leur beauté et les circonstances de leur genèse. C'est l'artiste polonais Alexander Pindikowski qui les a peintes. Installé dans la collectivité de Heart's Content pour y enseigner l'art après avoir immigré dans l'île, il est arrêté au Temperance Coffee House, au centre-ville de St. John's, le10 mars 1880 pour avoir tenté d'encaisser des chèques contrefaits. Reconnu coupable de contrefaçon, il est condamné à 15 mois de prison.

Le plafond du Colonial Building
Le plafond du Colonial Building
Avec la permission du service des archives (B2-69), The Rooms, St. John's, T.-N.-L.

Le gouvernement connaît le talent d'Alexander Pindikowski et lui demande de peindre les plafonds des salles du conseil et de la Chambre d'assemblée. En contrepartie, sa peine d'emprisonnement sera écourtée d'un mois. Les fresques originales arboraient neuf couleurs différentes et avaient requis 200 livrets de feuilles d'or pour les incrustations. En 1940, un peintre local, Clem Murphy, procède à la restauration minutieuse de l'œuvre d'Alexander Pindikowski. Il a fallu nettoyer les plafonds salis par la fumée et la poussière. Plusieurs des couleurs étaient ternies et même disparues. Elles ont été remises en état au pochoir.

Les événements clés

L'histoire de l'édifice est émaillée de faits pittoresques. En 1850 s'y produit le premier vol de banque de l'île. Dans la nuit du 30 novembre, deux hommes s'introduisent par effraction dans le sous-sol de l'édifice où se situe la Caisse d'épargne de Terre-Neuve. Ils y dérobent £413. D'après la publication du 3 décembre du Royal Gazette, les voleurs ont forcé une fenêtre et pénétré dans le bureau. Ils se sont emparés d'un coffre en fer qu'ils ont transporté dans une autre pièce. Ils en ont brisé la serrure et dérobé l'argent. Les deux hommes, James Kavanagh et Michael Whelan, sont reconnus coupables en mars 1851, mais seule la somme de £270 est récupérée.

C'est également dans le Colonial Building qu'a lieu la première soirée de gala de la colonie le 25 juillet 1852 en l'honneur du vice-amiral sir George Seymour et des officiers des navires de Sa Majesté, le Cumberland, le Bermuda et le Buzzard. De nombreux autres bals y sont organisés au fil des ans, que ce soit pour souligner la venue de membres de la famille royale, notamment le prince de Galles en 1860, ou célébrer des moments historiques tels que la pose d'un câble transatlantique en 1866.

Le Colonial Building décoré pour la venue du prince de Galles en 1919
Le Colonial Building décoré pour la venue du prince de Galles en 1919
Avec la permission du service des archives (A35-49), The Rooms, St. John's, T.-N.-L.

D'autres activités publiques s'y tiennent au cours des ans, dont des foires agricoles sur son terrain, et la présentation publique des objets destinés à l'Exposition universelle de Paris de 1867.

Des débats et des manifestations

Cet édifice se retrouve aussi au centre de débats, de controverses politiques et d'émeutes. Ainsi, le 31 mai 1861, une foule en colère est rassemblée à l'extérieur. Des électeurs de la collectivité de Harbour Main se sont vus refuser le droit de voter lors de l'élection générale. Les émeutiers tentent en vain d'entrer dans l'édifice. Ils descendent alors la rue Water et s'attaquent à des commerces. Les militaires sont appelés en renfort pour rétablir la paix, mais ils ouvrent le feu sur la foule et tuent trois personnes.

Le Colonial Building pendant l'émeute de 1932
Le Colonial Building pendant l'émeute de 1932
Avec la permission du service des archives (A2-160), The Rooms, St. John's, T.-N.-L.

L'émeute la plus célèbre est celle qui survient pendant la Grande Dépression. Le 5 avril 1932, environ 10 000 personnes s'attroupent devant l'édifice. Les participants exigent du gouvernement qu'il déploie de plus grands efforts pour soulager la pauvreté et créer de l'emploi. Leur mécontentement est alimenté par les récentes déclarations du ministre des Finances Peter Cashin qui accuse le premier ministre, sir Richard Squires, de détournement des fonds publics. La manifestation, d'abord pacifique, se transforme rapidement en émeute. La foule fracasse les vitres de l'immeuble, jette le mobilier à l'extérieur et le détruit. Les députés présents à la Chambre d'assemblée craignent pour leur vie. Les policiers réagissent violemment et repoussent les émeutiers à coup de matraque. Le premier ministre parvient à s'échapper, sain et sauf, escorté par des policiers. Il perd cependant l'élection suivante. Les dommages à l'édifice atteignent 10 000 $.

La Chambre d'assemblée lors d'une session législative vers 1914
La Chambre d'assemblée lors d'une session législative vers 1914
Avec la permission du service des archives (C1-207), The Rooms, St' John's, T.-N.-L.

L'histoire du Colonial Building est aussi parsemée de grands moments historiques dont l'instauration d'un gouvernement responsable en 1855, la mise en place de la Commission de gouvernement de Terre-Neuve en 1934 et l'ouverture du congrès national de 1946 sur l'avenir constitutionnel de Terre-Neuve et du Labrador. À la fin du congrès, et après la tenue de deux référendums en 1948, les électeurs choisissent de rejoindre la Confédération canadienne. L'édifice devient alors le siège de l'assemblée législative de la 10e province du Canada sous la direction du premier ministre libéral Joseph R. Smallwood.

Après l'entrée dans la confédération

L'édifice joue le rôle de siège de l'assemblée législative pendant 10 ans. Une dernière session législative s'y déroule le mardi 28 juillet 1959. Les députés emménagent ensuite dans le tout nouveau Confederation Building en 1960 pour une nouvelle session parlementaire.

Le Colonial Building abrite aussi le service des archives provinciales de Terre-Neuve-et-Labrador de 1960 à 2005 avant que celui-ci s'établisse dans un autre édifice, The Rooms. Le Colonial Building accueille alors le ministère du Tourisme, de la Culture et des Loisirs. Divers groupes de protection du patrimoine à but non lucratif s'y installent, notamment la Newfoundland Historical Society, le Museum Association of Newfoundland and Labrador, l'Association of Newfoundland and Labrador Archives, et le Newfoundland and Labrador Sports Archives.

L'édifice Colonial est déclaré un lieu historique de la province en 1974. D'importants travaux de rénovation de l'intérieur et de l'extérieur de l'édifice sont amorcés en 2010. Le Colonial Building sera transformé en centre d'interprétation de l'histoire de Terre-Neuve et du Labrador.

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