Gouverneurs de la marine

Les gouverneurs de la marine étaient chargés des affaires politiques, légales et militaires de Terre-Neuve et du Labrador de 1729 à 1824. Ils étaient nommés par le gouvernement britannique pour représenter la couronne et faire respecter son autorité dans la colonie. La majorité des gouverneurs venaient vivre sur l'île une partie de l'année seulement, en général de juillet jusqu'à novembre, quand la pêche migratoire était ouverte dans les eaux côtières et au large. En plus de gouverner la colonie, les gouverneurs de la marine étaient des officiers de la marine royale et ils commandaient l'escadre navale qui protégeait les pêcheries britanniques dans les eaux de Terre-Neuve et du Labrador.

Le gouverneur Henry Osborn, avant 1771
Le gouverneur Henry Osborn, avant 1771
Henry Osborn est devenu le premier gouverneur de la marine à Terre-Neuve en 1729. Il est resté en poste pendant deux ans.

Détail d'une peinture de Claude Arnulphy. Appartient au domaine public, sous licence Wikimedia Commons

Le mandat de la plupart des gouverneurs de la marine durait de un à trois ans. Certains n'ont guère laissé de traces sur la société de Terre-Neuve et du Labrador pendant cette période alors que d'autres ont mis en œuvre des réformes qui ont changé de façon dramatique le développement légal, politique et social de la colonie. Par exemple, les gouverneurs nommaient les premiers magistrats qui restaient en permanence sur l'île. Ils ont, en somme, aidé à façonner le système judiciaire émergent de la colonie. Ils ont aussi aidé à établir des prisons, les stocks, la police et d'autres institutions qui se trouvaient dans la plupart des autres colonies du 18e siècle.

Les origines du gouvernement de la marine

Dès la fin du 17e siècle, la Grande-Bretagne avait établi une forme de gouvernement à Terre-Neuve et au Labrador pour maintenir la loi et l'ordre chez les pêcheurs qui s'y installaient à chaque printemps pour pratiquer la pêche migratoire. Ce gouvernement fonctionnait sur une base saisonnière puisque la majorité des sujets britanniques ne vivaient dans la colonie que pendant la saison de pêche, en général de la fin du printemps jusqu'au début de l'automne.

Jusqu'en 1729, les amiraux de la pêche gouvernaient les citoyens de Terre-Neuve et du Labrador. Il ne s'agissait pas d'amiraux militaires mais plutôt des capitaines des navires de pêche. À chaque printemps, le capitaine qui faisait entrer son navire dans un havre de Terre-Neuve et du Labrador devenait la plus haute autorité ou amiral de ce havre et pour toute la durée de la saison. Les amiraux de la pêche fonctionnaient selon le droit coutumier local et ils étaient chargés de résoudre les petits délits, notamment le vol et le vandalisme et ils réglaient aussi les disputes entre les pêcheurs. Leur juridiction ne s'étendait pas sur les crimes capitaux et les vols supérieurs à 40 shillings.

Arthur Holdsworth (1668-1726)
Arthur Holdsworth (1668-1726)
Les amiraux de la pêche ont gouverné les citoyens de Terre-Neuve et du Labrador jusqu'en 1729. Arthur Holdsworth était amiral de la pêche dans le havre de St-John's en 1700.

Avec la permission de Gordon Handcock, St. John's, T.-N.-L. L'original appartient au Cmdre Holdsworth, Holbeam Mill, East Ogwell, Devon.

En 1699, la Grande-Bretagne a établi la cour d'appel aux termes de la loi sur Terre-Neuve (King William's Act) et ses juges étaient capables de réviser et d'approuver ou de rejeter les décisions prises par les amiraux de la pêche. La loi stipulait que le commandant du convoi de la marine qui protégeait la flotte de la pêche migratoire occuperait les fonctions de juge d'appel; les commandants de la marine ne faisaient pas partie des pêcheries mais étaient plutôt des officiers de la marine royale de la Grande-Bretagne. Cependant, les juges d'appel comme les amiraux de la pêche, ne restaient pas sur l'île en dehors de la saison de pêche.

La croissance lente mais continue de la population permanente de l'île au début du 18e siècle signifiait qu'il fallait faire respecter la loi pendant les mois d'hiver. Ce qui est devenu évident quand en 1728, un navire britannique qui transportait des prisonniers irlandais a fait escale à Bay Bulls en automne, en route pour la Virginie. Certains prisonniers ont débarqué sur l'île de Terre-Neuve et ils ont passé l'hiver sur la péninsule d'Avalon. Pendant cette saison, les résidents ont rapporté qu'il y avait eu beaucoup de crimes, notamment un meurtre.

Le rôle du gouverneur

Ayant reconnu la nécessité de protéger la population croissante de la colonie pendant toute l'année, le gouvernement britannique avait désigné le capitaine Henry Osborn pour servir de premier gouverneur de la marine de Terre-Neuve en 1729. On lui a aussi assigné la tâche d'établir un système judiciaire pour l'hiver afin de faire respecter les lois lorsque la flotte de pêche et le convoi de la marine avaient quitté l'île à chaque automne.

Pour ce faire, Osborn a divisé l'île en six districts (St. John's, Ferryland, Placentia, Bonavista, Trinity et Carbonear) et il a nommé des magistrats et des policiers dans chacun des districts. Il a aussi établi des prisons à St. John's et Ferryland, un palais de justice à St. John's et il a aussi fait construire des piloris et des poteaux de flagellation dans les divers districts pour punir les auteurs de délits mineurs. Osborn permettait aux magistrats de siéger toute l'année au lieu de limiter leurs tâches aux mois d'hiver. Au départ, les amiraux de la pêche et les marchands du West Country se sont opposés à cette décision car ils craignaient de voir leur autorité réduite en ce qui concerne les pêcheries. Cependant, étant donné qu'il y avait une pénurie de candidats locaux qualifiés, les marchands et leurs agents occupaient souvent les fonctions de magistrat; ces nominations calmaient les inquiétudes à propos des intérêts du West Country.

Osborn est resté gouverneur pendant deux ans et en 1731, c'est George Clinton qui lui a succédé. Celui-ci était commodore de l'escadre de la marine à Terre-Neuve. Clinton est resté en poste pendant une seule année et même s'il n'a pas eu autant d'influence que Osborn sur le système judiciaire de la colonie, il a renforcé l'autorité des magistrats civils en s'alliant à eux contre les défis posés par les amiraux de la pêche.

Obligations et responsabilités

De 1729 à 1825, on compte un total de 39 gouverneurs de la marine à Terre-Neuve et Labrador. Certains, comme par exemple Osborn, ont introduit des réformes qui allaient avoir des conséquences significatives sur le développement social et politique de la colonie; d'autres étaient moins intéressés par les affaires politique ou civiles et ils souhaitaient plutôt faire avancer leur carrière militaire en occupant la fonction de commodore de la flotte pendant une année ou deux à Terre-Neuve. Alors que le poste de gouverneur était temporaire, le service militaire constituait souvent une carrière qui pouvait durer des décennies et dans laquelle de nombreux officiers avaient beaucoup investi.

George Rodney, vers 1756
George Rodney, vers 1756
Rodney (1719-1792) était le gouverneur de Terre-Neuve en 1749 et c'était un des 39 gouverneurs de la marine qui ont administré la colonie de 1729 à 1825. Ce portrait a été peint par Sir Joshua Reynolds, vers 1756, après la promotion de Rodney au titre de contre-amiral.

Avec la permission de Bibliothèque et Archives Canada (Acc. No. R9266-3161) Ottawa, Ontario.

Tous les gouverneurs de la marine devaient maintenir un équilibre entre leurs responsabilités politiques et leurs obligations militaires. En qualité de commodores, ils devaient obéir aux ordres de l'amirauté britannique et de la Chambre de commerce. Ils commandaient leur navire amiral ainsi que toute l'escadre navale qui comprenait typiquement plusieurs vaisseaux de guerre, des frégates et des sloops [bateau à voile plus petit que la frégate]. Ils devaient aussi protéger les intérêts britanniques à Terre-Neuve et au Labrador des attaques ennemies pendant une multitude de guerres franco-britanniques au cours du 18e siècle et au début du 19e.

De plus, ils avaient des responsabilités politiques. Typiquement, les gouverneurs arrivaient à Terre-Neuve en juin ou juillet et ils en repartaient en octobre ou novembre. Après 1817, la situation a changé quand la Grande-Bretagne a établi le poste de gouverneur pour toute l'année. Au début de chaque mandat, la Couronne britannique donnait à chacun de ses gouverneurs une commission qui décrivait ses pouvoirs et plusieurs de ses tâches ou obligations. Lorsqu'ils séjournaient à Terre-Neuve, les gouverneurs consultaient les marchands sur le fonctionnement et l'économie des pêcheries et ils faisaient un rapport à la Chambre de commerce. Ils supervisaient aussi le système judiciaire et nommaient les magistrats; ils ont siégé comme juges de 1749 à 1780. Les gouverneurs supervisaient la préparation des navires commerciaux et des convois de la marine pour le voyage de retour en Europe et ils étaient aussi chargés d'établir les politiques sur la religion et autres questions locales. Dès leur retour en Angleterre, les gouverneurs rencontraient régulièrement les marchands et les agents du gouvernement qui s'occupaient des pêcheries de Terre-Neuve et du Labrador.

Certains gouverneurs ont eu une grande influence sur le développement légal, social et politique de Terre-Neuve. Le gouverneur George Rodney, par exemple, a mis en œuvre une multitude de réformes durant son mandat en 1749, en particulier l'établissement d'un tribunal local d'oyer et terminer (qui jugeait annuellement tous les crimes sauf la trahison), un tribunal du gouverneur à St. John's et la formalisation de tribunaux de succession dans les villages côtiers. Les juges de ces tribunaux étaient des officiers de la marine que le gouverneur avait nommés au poste de juge de tribunal de succession.

La loi de Palliser

Le gouverneur Hugh Palliser s'est aussi occupé activement de l'administration de la colonie durant son mandat de 1764 à 1768. Palliser encourageait la pêche migratoire au Labrador, tombée sous la juridiction de Terre-Neuve en 1763 et il a établi des directives pour les pêcheurs qui travaillaient dans cette région. Il a essayé d'établir des relations cordiales avec les groupes autochtones et il a encouragé la congrégation morave, une secte protestante qui œuvrait auprès des Inuit du Groenland, à établir des missions au Labrador. Palliser a aussi aidé à élaborer en 1775 la loi du roi George III (connue sous le nom de Palliser's Act ou loi de Palliser) car il espérait qu'elle limiterait l'établissement de colonies permanentes à Terre-Neuve et au Labrador.

Sir Hugh Palliser, avant 1775.
Sir Hugh Palliser, avant 1775.
Palliser encourageait la pêche migratoire au Labrador et il a établi des directives pour les pêcheurs qui travaillaient dans cette région. Il a aussi aidé à élaborer la loi de 1775 du roi George III, en espérant qu'elle limiterait l'installation de colonies permanentes.

Détail d'une peinture attribuée à George Dance the Younger. Appartient au domaine public, sous licence Wikimedia Commons

Croissance de la population permanente

La population permanente de la colonie continuait d'augmenter régulièrement. À la fin des guerres napoléoniennes en 1815, il y avait suffisamment de colons sur l'île pour nécessiter un service postal, une imprimerie, des écoles, un hôpital et divers organismes de charité. Certains citoyens étaient d'avis que le système de gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador était obsolète et ils faisaient campagne pour l'établissement d'une assemblée législative élue qui représenterait les citoyens.

Le mouvement a gagné suffisamment de soutien pour qu'en 1825, grâce à la décision du gouvernement britannique d'octroyer le statut officiel de colonie à Terre-Neuve et au Labrador, on puisse nommer le premier gouverneur civil, Sir Thomas Cochrane, qui était malgré tout un officier de la marine. Le gouvernement représentatif de Terre-Neuve et du Labrador est devenu une réalité en 1832, en permettant à ses citoyens d'élire des candidats politiques pour former une assemblée législative.

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