Fluctuations de l'économie 1730-1815

La pêche à la morue reste la principale activité économique de Terre-Neuve et du Labrador sous l'administration des gouverneurs de la marine. Toutefois, entre 1730 et 1815, ce secteur économique subit de grandes transformations lorsqu'il passe aux mains des pêcheurs insulaires et cesse d'être sous l'emprise des marchands européens. Dès le début du 19e siècle, les profits dérivés de la pêche ne sont plus rapatriés en Grande-Bretagne. C'est dorénavant la population locale en pleine expansion qui en tire parti.

Poisson salé, 1969
Poisson salé, 1969
La pêche à la morue reste la principale activité économique de Terre-Neuve et du Labrador sous l'administration des gouverneurs de la marine.
Gravure de Don Wright. Avec la permission de la galerie d'art The Rooms, collection permanente, St. John's, T.-N.-L.

La mutation de l'économie de Terre-Neuve et du Labrador découle de divers éléments: des guerres européennes qui perturbent la pêche migratoire (saisonnière) et favorisent l'implantation d'une population permanente et de la présence de marchands locaux, qui favorise la rétention des gains provenant de la pêche. Enfin, la croissance de cette population permet aux pêcheurs côtiers de supplanter les pêcheurs migrants en devenant les principaux producteurs de poisson salé.

La colonie s'ouvre aussi à d'autres activités économiques sous le gouvernement de la marine. Ces activités représentent un revenu d'appoint crucial pour les habitants. Parmi celles-ci, la chasse et le piégeage des animaux à fourrure l'automne et l'hiver, la coupe du bois et la construction de bateaux durant l'hiver, ainsi que la cueillette des petits fruits, l'agriculture et l'élevage le printemps, l'été et le début de l'automne. La chasse au phoque pendant l'hiver et le printemps propulse en grande partie le développement de l'économie locale. En 1815, la croissance vigoureuse de la population et de l'économie permet aux collectivités plus importantes d'enrichir leur bassin de travailleurs. Aux pêcheurs se rajoutent des tonneliers, des boulangers, des menuisiers, des tailleurs, des médecins et bien d'autres.

La pêche migratoire et l'économie

Au cours du 18e siècle, la colonie constitue le point de chute des marins européens engagés dans la pêche migratoire transatlantique. La plupart des pêcheurs arrivent au printemps et retournent en Europe vers la fin de l'automne après avoir transformé leurs prises. La pêche rapporte gros, mais la majorité des profits réalisés repartent avec eux. Ce sont les marchands britanniques qui exercent leur domination sur ce secteur et vendent le poisson sur les marchés du sud de l'Europe et dans les Caraïbes. De nombreux marchands résistent à l'établissement permanent d'habitants. Ils craignent l'imposition de taxes de la part des autorités locales, de même qu'une restriction de l'accès aux stocks de morue.

Bristol, Angleterre, 1787
Bristol, Angleterre, 1787
Les marchands du sud-ouest de l'Angleterre dominaient les activités de pêche migratoire de Terre-Neuve et du Labrador au 18e siècle.
Peinture de Nicholas Pocock. Tiré de Bristol and its Famous Associations, de Stanley Hutton, J. W. Arrowsmith, Bristol, 1907, p. 21. Tirage.

Au cours de la deuxième moitié du 18e siècle, l'essor de la population insulaire facilite l'émergence d'activités de pêche dont le pivot est le noyau familial. Les hommes et les garçons plus âgés vont pêcher la morue dans les eaux côtières. Les autres membres de la famille, y compris les femmes et les enfants, procèdent à vider, saler et sécher le poisson qui est ensuite échangé pour des vivres, des vêtements et d'autres articles auprès des marchands et des propriétaires de bateaux de pêche locaux.

Pendant la majeure partie du 18e siècle, et ce, malgré l'expansion continue de la pêche insulaire, la pêche migratoire occupe toujours une place prépondérante. Cette tendance s'inverse enfin vers la fin de ce siècle et le début du suivant. Les guerres que se livrent la Grande-Bretagne et la France interrompent la pêche transatlantique. Cette situation favorise le développement d'une industrie locale à Terre-Neuve et au Labrador.

La guerre et l'économie

La guerre de l'Indépendance américaine (1775-1783), la Révolution française (1789-1799), les guerres napoléoniennes (1803-1815) et la guerre anglo-américaine (1812-1814) métamorphosent l'économie de Terre-Neuve et du Labrador. Les activités de pêche migratoire chutent alors que la pêche insulaire s'amplifie et devient florissante. Au retour de la paix en 1815, la population permanente de la colonie dépasse amplement celle des pêcheurs migrants. La pêche migratoire cède alors sa place à une industrie locale.

Au cours de ces conflits, le gouvernement britannique constate que les pêcheurs anglais sont exposés aux attaques de l'ennemi lors de la traversée de l'Atlantique. Il diminue donc annuellement l'importance de la flottille de pêche vers Terre-Neuve et le Labrador. Il recrute les pêcheurs dans la marine royale pour en renforcer les effectifs. À la même époque, le nombre d'habitants de la colonie s'accroît avec l'arrivée d'immigrants désireux d'échapper à l'enrôlement et de participer à des activités de pêche insulaire de plus en plus lucratives.

À mesure que ces nations rivales se retirent de la pêche à la morue pour se consacrer entièrement à la guerre, la colonie de Terre-Neuve et du Labrador en vient à exercer un monopole sur le commerce international du poisson salé, ce qui stimule son économie. Chaque conflit lui assure un boom économique, mais également une courte récession à la fin des hostilités lorsque les pays reprennent le commerce du poisson salé.

Les guerres napoléoniennes et la guerre d'Indépendance américaine dynamisent notablement l'économie de la colonie. En effet, la réduction des activités commerciales de la Grande-Bretagne, de la France et des États-Unis lui offre un accès pratiquement illimité aux grands marchés du sud de l'Europe et des Caraïbes. Les exportations de poisson sont presque multipliées par deux. Elles passent de 625,519 quintaux en 1805 à 1 182,661 en 1815. La guerre fait tripler le prix du poisson. Cette prospérité amène une hausse du salaire des pêcheurs et des apprêteurs. Par exemple, les préposés au tranchage du poisson qui gagnaient avant la guerre environ £30 en reçoivent jusqu'à £140 en 1814.

La diversification de l'économie

En 1797, le nombre d'habitants se situe à 11 382, mais atteint 40 568 en 1815. Cette augmentation s'accompagne d'une diversification des emplois. Les métiers liés à la pêche prédominent toujours, mais la colonie accueille aussi, entre autres, des médecins, des chirurgiens, des commerçants, des tailleurs, des menuisiers et des forgerons. Ils s'installent dans les plus grandes collectivités dès le début du 19e siècle.

Parallèlement, l'économie de Terre-Neuve et du Labrador se diversifie grâce à de nouveaux secteurs d'activité qui offrent de l'emploi le reste de l'année aux travailleurs de la pêche. La chasse au phoque au printemps et en hiver procure de nombreux emplois. La coupe du bois, la construction navale et le piégeage représentent aussi des activités économiques hivernales importantes. Au début du 19e siècle, l'agriculture se développe et permet à de nombreuses familles d'augmenter leur revenu de pêche.

Vue d'une exploitation agricole près de St. John's, vers 1790
Vue d'une exploitation agricole près de St. John's, vers 1790
L'agriculture se répand dans l'île de Terre-Neuve au début du 19e siècle. De nombreuses familles font pousser des légumes pour arrondir leur revenu tiré de la pêche.
Tiré de A History of Newfoundland from the English, Colonial and Foreign Records, de D. W. Prowse, Macmillan, London, 1895, p. 319. Tirage.

Tout au long du 19e siècle, l'industrie du poisson salé continue comme autrefois de surpasser toutes les nouvelles activités économiques. La pêche fait travailler un plus grand nombre de personnes que toute autre activité locale. Le poisson séché reste le principal produit d'exportation de la colonie en dépit des variations de prix au fil des ans.

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