Développement économique et chemin de fer

Aux 19e et 20e siècles, le développement économique est au cœur des préoccupations des gouvernements terre-neuviens. Le secteur de la pêche ne parvient pas à créer suffisamment de richesse et d'emplois pour une population en pleine croissance. L'objectif consiste donc à développer d'autres secteurs économiques axés sur l'exploitation de ressources terrestres. Ces nouveaux secteurs offriraient du travail et une meilleure qualité de vie à la population. Ils endigueraient la migration, temporaire ou permanente, vers le continent.

Le développement de l'agriculture

C'est d'abord l'agriculture qui retient l'attention. Le gouvernement espère donner aux familles les moyens d'atteindre une certaine autonomie financière en construisant des routes et en incitant les familles à défricher des terres à des fins agricoles. Capables de satisfaire leurs propres besoins alimentaires, les familles n'auraient plus autant besoin d'aide sociale, surtout si les activités agricoles se combinent à d'autres activités comme la pêche. Politiquement, ces propositions ne portent pas à controverse. Que ce soit avant ou après l'instauration d'un gouvernement responsable en 1855, l'ensemble des partis et regroupements politiques s'entendent sur l'importance de l'agriculture et appuient les sociétés agricoles, la distribution de pommes de terre de semence, les primes au défrichage et d'autres mesures.

Des discussions sur la construction d'un chemin de fer

Les gouvernements conservateurs des années 1860, sous la gouverne de Hugh Hoyles et de Frederic Carter, manifestent un grand enthousiasme envers l'agriculture, mais cherchent aussi à développer d'autres secteurs d'activité. Ainsi, la Newfoundland Geological Survey (Commission de géologie) amorce ses travaux en 1864. La découverte de gisements de cuivre dans la baie Notre Dame se révèle excitante. L'intérêt porté aux ressources terrestres, couplé à l'espoir de découvrir de précieuses ressources dans l'arrière-pays, déclenche des discussions sur la construction d'un chemin de fer qui traverserait l'île.

Bett's Cove, baie Notre Dame, s.d.
Bett's Cove, baie Notre Dame, s.d.
La découverte de gisements de cuivre à Bett's Cove, entre autres, déclenche un certain enthousiasme pour les ressources terrestres, ainsi que des discussions sur la construction d'un chemin de fer dans l'île.
Illustration de Percival Skelton. Tiré de Newfoundland, the Oldest British Colony, de Joseph Hatton et M. Harvey, Chapman and Hall, Londres, 1883, p. 164.

Le développement économique constitue la principale justification pour la construction d'un chemin de fer. La construction elle-même créerait de l'emploi, en plus de rendre accessibles l'arrière-pays et d'autres régions difficiles d'accès sans routes. Le chemin de fer stimulerait les secteurs forestier, agricole et minier. Ses partisans fondent également de grands espoirs sur le potentiel économique de la côte ouest de l'île (le French Shore, la côte française). Ils sont convaincus qu'elle abonde en terres arables, minéraux et forêts. Le chef du Parti conservateur, sir William Whiteway, fait de la construction d'un chemin de fer le pilier de son programme électoral lors de l'élection de 1878. Les travaux commencent en 1881.

La très controversée question du chemin de fer fragmente la classe politique. Ses partisans, libéraux et conservateurs, se rassemblent autour de William Whiteway et approuvent sa « politique du progrès ». Ceux qui envisagent un avenir différent pour la colonie se regroupent en 1882, et forment le New Party (le Nouveau Parti). Celui-ci portera ensuite le nom de Reform Party (Parti réformiste) ou tory. Selon ce groupe adverse, les partisans du chemin de fer s'illusionnent et affichent des attentes excessives. La pêche est et restera le secteur économique le plus important de la colonie. C'est donc dans ce secteur que le gouvernement doit redoubler d'efforts, surtout que la pêche est plongée dans une grave crise commerciale dans les années 1880. L'île ne peut se permettre le gaspillage de millions de dollars dans la construction d'un chemin de fer. Le gouvernement doit plutôt intervenir pour contrer la concurrence des pêcheurs français, et élaborer des plans de développement agricole.

Le débat occupe tout l'espace politique vers la fin du 19e siècle. Le Nouveau Parti perd l'élection de 1882. William Whiteway avait d'ailleurs clairement défini les enjeux électoraux : « Progrès » ou « Stagnation et privations ». Cependant ses adversaires, en grande partie des marchands, s'unissent et parviennent à s'emparer du pouvoir gouvernemental à la suite de manœuvres douteuses. Ils remportent l'élection de 1885 sous le vocable de Parti réformiste. Ils ont donc les coudées franches pour mettre en œuvre une stratégie de développement différente. Pourtant, malgré des débuts prometteurs, ils n'arrivent bientôt plus à suivre leur propre programme et reprennent les travaux de construction du chemin de fer.

Sir Robert Thorburn, s.d.
Sir Robert Thorburn, s.d.
Le marchand Robert Thorburn devient premier ministre lors de la défaite du Nouveau Parti de sir William Whiteway en 1882.
Photographie de Bassano. Tiré de A History of Newfoundland from the English, Colonial and Foreign Records, de D. W. Prowse, Macmillan, London, 1895, p. 514.

William Whiteway gagne l'élection de 1889 et renoue avec le pouvoir comme chef du Parti libéral avec les formules « Votez pour l'ami des travailleurs et le défenseur du progrès » et « Votez pour Whiteway et 1,25 $ par jour ! » soit le salaire quotidien des travailleurs affectés à la construction du chemin de fer. [traduction libre]

Cette élection met un terme aux débats sur la construction d'un chemin de fer. Il est évident que les électeurs adhèrent à la stratégie économique de William Whiteway. Les tenants d'une économie reposant sur la pêche et la chasse au phoque devront aussi l'accepter. En réalité, les habitants de l'île souscrivent à l'idée répandue que la vapeur, le chemin de fer et l'ouverture de nouveaux territoires diversifieront l'économie et amèneront la prospérité. C'est un pari risqué aux retombées politiques et économiques mitigées. Dès l'achèvement du principal tronçon de la voie ferroviaire en 1897, et malgré des bénéfices socio-économiques, l'existence même du chemin de fer représente un problème politique.

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