Les conséquences de la Grande Crise sur la classe ouvrière

Au cours de la Grande Crise, toute la colonie de Terre-Neuve et du Labrador est accablée par la pauvreté et la misère. Les pêcheurs n'arrivent plus vraiment à gagner leur vie en raison de la baisse constante du prix de la morue. Les mises à pied et les baisses salariales se répandent dans les secteurs forestier et minier. Le gouvernement doit investir substantiellement dans des programmes d'aide destinés aux milliers d'hommes et de femmes récemment mis au chômage. Ces programmes laissent souvent à désirer. Un grand nombre de personnes sont ainsi en manque de vêtements, de nourriture et d'autres biens de première nécessité pour subvenir aux besoins de leur famille. La malnutrition s'étend et favorise des infections comme le béribéri et la tuberculose.

Une émeute à l'extérieur du Colonial Building, 1932
Une émeute à l'extérieur du Colonial Building, 1932
Le 5 avril 1932, une manifestation à l'extérieur du Colonial Building à St. John's dégénère en émeute.
Photographe inconnu. Photo reproduite avec la permission des archives (A2-160), The Rooms, St. John's, T.-N.-L.

Le mécontentement des chômeurs s'accentue. Ceux-ci manifestent et exigent du gouvernement des emplois ou de meilleures rations. Cette colère se change en furie lorsqu'au printemps 1932 des accusations de fraude sont portées contre le premier ministre sir Richard Squires. De violentes émeutes et des manifestations se succèdent devant le Colonial Building. Le premier ministre est finalement évincé de son poste. La Commission de gouvernement de Terre-Neuve est assermentée en 1934. Toutefois, ce changement de gouvernance n'aide en rien les chômeurs qui doivent toujours tenter de survivre avec des rations insuffisantes.

Chômage généralisé

Lorsque frappe la Grande Crise en 1929, une grande partie de la main-d'œuvre évolue dans les secteurs de la pêche et de l'exploitation minière et forestière. L'affaissement du commerce mondial dans les années 1930 leur porte un coup terrible. Les exportations de minerai de fer passent de 1,6 million de tonnes en 1930 à 194 000 tonnes en 1933. La valeur des exportations de papier journal aux États-Unis chute à 4,1 millions de dollars en 1935 comparativement à 9,1 millions en 1930. Même si la Grande-Bretagne accroît sa demande en papier journal, les usines de pâtes et papiers doivent néanmoins réduire leur masse salariale et mettre à pied des travailleurs afin de garantir leur rentabilité.

Pendant ce temps, les pêcheurs ne peuvent que constater la disparition d'une partie de leur revenu. Entre 1929 et 1936, les exportations de poisson glissent de 16 millions de dollars à 7,3 millions. Même en période favorable, les pêcheurs ne gagnaient pas suffisamment pour bien vivre. La baisse presque continue du prix de la morue séchée dans les années 1930 dégrade davantage la situation. Des dettes enchaînent de nombreux pêcheurs aux marchands qui leur vendent à crédit du matériel de pêche, des denrées et d'autres articles en échange de leurs prises. Certains sont si endettés que des marchands leur refusent désormais tout ravitaillement à crédit.

Des pêcheurs au port de St. John's, s.d.
Des pêcheurs au port de St. John's, s.d.
La chute du prix de la morue dans les années 1930 appauvrit encore les pêcheurs de Terre-Neuve et du Labrador.
Photographe inconnu. Photo reproduite avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 137 03.02.011), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

La crise économique oblige des entreprises et d'autres secteurs industriels à supprimer des emplois. Les nombreux chômeurs cherchent en vain des emplois ailleurs. Le gouvernement licencie près du tiers de ses fonctionnaires et soumet les autres à une diminution de salaire. Le service postal est décimé avec la fermeture d'environ 300 bureaux de poste. Le travail saisonnier s'évanouit aussi bien au Canada qu'aux États-Unis à mesure que la Grande Crise ravage leurs économies. Les habitants de Terre-Neuve et du Labrador, partis travailler à l'étranger, reviennent au pays et grossissent les rangs des chômeurs.

Les rations

De plus en plus d'entreprises mettent à pied plus souvent qu'elles embauchent. Des milliers de sans-emploi, hommes et femmes, font appel au gouvernement pour obtenir de l'aide durant la Grande Crise. Les maigres rations reçues ne satisfont que la moitié environ des besoins nutritionnels d'une personne. Plutôt qu'une allocation leur permettant de se procurer ce qu'ils veulent, les bénéficiaires doivent accepter les articles inscrits sur une liste. Ainsi, un adulte célibataire sans emploi reçoit par mois 11 kg de farine, près de 2 kg de lard de porc, 900 g de haricots, 900 g de semoule de maïs, 450 g de pois cassés, 338 g de cacao et 113 g de mélasse. Les habitants de St. John's ont également droit à des légumes. Par contre, les habitants des villages éloignés doivent les cultiver eux-mêmes, car les fermes y sont plus nombreuses.

Nombreux sont ceux qui n'apprécient guère les rations. Celles-ci ne leur fournissent pas suffisamment de nourriture, selon eux. Ils veulent choisir ce qu'ils consomment. L'imposante dette publique et la décroissance des recettes empêchent le gouvernement de financer un programme d'allocations d'assistance. Il craint aussi que des allocations trop généreuses dissuadent les gens de chercher du travail ailleurs. Néanmoins, entre un quart et un tiers des 300 000 habitants de la colonie touchent des rations pendant les années 1930. En 1933, le gouvernement consacre plus de 1 million de dollars par année à son programme d'aide.

La malnutrition qui sévit dorénavant est la cause de plusieurs décès. Une mauvaise alimentation et la pauvreté endémique sont deux autres facteurs responsables d'une montée croissante du taux de mortalité infantile et de la propagation de la tuberculose, du béribéri (qui s'atténue avec l'ajout de farine de blé entier dans les rations) et d'autres infections. Puisque les gens ne jouissent pas de services de santé gratuits dans la colonie, bon nombre doivent se priver de médecin. Les frais de scolarité et le loyer représentent aussi des coûts supplémentaires inabordables pour de nombreuses personnes. Les enfants restent à la maison si leurs parents sont incapables de leur acheter des chaussures et des vêtements, ou de payer les frais de scolarité. Les propriétaires jettent à la rue les locataires qui ne peuvent plus payer leur loyer.

Si les gens parviennent à mettre de côté quelques dollars pour se faire soigner ou répondre à une urgence quelconque, ils peuvent perdre leurs rations. Des représentants du gouvernement et des membres de la classe supérieure croient fermement que des personnes reçoivent sans raison des rations. En conséquence, l'autorité des agents gouvernementaux en matière d'enquête sur les bénéficiaires est très étendue. Ils ont le pouvoir de faire la chasse aux comptes bancaires. Si un bénéficiaire possède un montant d'argent, fait pousser des légumes ou fait du braconnage, pour attraper un lièvre ou tout autre animal, l'agent peut restreindre ou éliminer ses rations. L'historien James Overton remarque qu'ils pouvaient même contraindre des gens à vendre leurs biens et à épuiser le produit de la vente avant de refaire une demande d'aide.

Mécontentement croissant

Le mécontentement de la population amplifie avec l'aggravation de la Grande Crise. La faim et le froid tenaillent les habitants plongés dans la pauvreté. Certains meurent de faim. Des lettres publiées dans les journaux locaux déplorent l'insuffisance des rations ou demandent au gouvernement un emploi. D'autres dénoncent l'incompétence du gouvernement et réclament sa démission. Des personnes désespérées s'attaquent aux commerces pour y dérober, entre autres, de la nourriture et des vêtements. Des gens organisent des manifestations pour revendiquer de l'aide. Le gouvernement y répond de façon mesurée. Par exemple, en 1935, 1000 personnes se rassemblent à St. John's. Elles appellent le gouvernement à doubler les rations et y à rajouter du charbon et des vêtements. Celui-ci consent seulement à y inclure du navet et du chou.

Des manifestations se transforment parfois en émeutes. C'est ce qui s'est passé en 1932 lorsque le ministre des Finances Peter Cashin accuse le premier ministre sir Richard Squires d'usage abusif des fonds publics. Le 5 avril, la manifestation qui se tient devant le Colonial Building dégénère en émeute. La foule de 10 000 personnes fracasse les fenêtres de l'édifice avec des pierres, puis le prend d'assaut et se livre au pillage. Sir Richard Squires s'échappe sain et sauf sous escorte policière. Il perd cependant l'élection suivante. Le nouveau gouvernement, avec à sa tête Frederick Alderdice, marque l'arrivée de la Commission de gouvernement en 1934, qui met effectivement fin à l'autonomie gouvernementale du dominion.

La situation de la classe ouvrière ne s'améliore pas pour autant. Les rations, bien que bonifiées, n'assurent toujours pas une bonne santé. L'ajout de farine de blé entier déplaît particulièrement les gens. Si elle contient davantage d'éléments nutritifs que la farine blanche autrefois distribuée, elle ne convient pas aussi bien à la cuisson au four. Elle rappelle aux bénéficiaires le peu de pouvoir qu'ils ont sur ce qu'ils consomment. Il en va de même avec la Commission de gouvernement dont la mise en place leur signale qu'ils n'ont plus le libre choix de leur gouvernement.

La prospérité et la guerre

C'est le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale qui vient à bout de la Grande Crise des années 1930, et non une nouvelle gouvernance ou politique. L'installation de bases militaires étrangères sur le territoire de la colonie crée soudain des milliers d'emplois locaux. L'enrôlement représente une autre source d'emploi. Le nombre de bénéficiaires de rations diminue fortement avec la multiplication des emplois. Il passe de 75 144 en 1939 à 6907 à la fin de 1942. Pour plusieurs gens, la guerre signifie la fin de ces rations qu'ils détestent tant et la possibilité d'enfin gagner sa vie et de faire vivre sa famille.

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Vidéo: La grande dépression à Terre-Neuve-et-Labrador