Bouleversements économiques, 1815-1832

Un mouvement de réforme prend naissance en temps de grave crise économique à Terre-Neuve et au Labrador. La fin des guerres napoléoniennes en 1815 déclenche une récession qui accable la colonie pendant des années. Celle-ci résulte d'une chute du prix du poisson et d'une concurrence qui se révèle de plus en plus vive. Les marchands tentent d'éviter la faillite et les travailleurs de la pêche voient leur salaire fondre. Pour des familles déjà appauvries, les hivers très rigoureux qui se succèdent, l'échec de la chasse au phoque et des incendies aggravent la situation. Le gouvernement s'efforce de créer de l'emploi avec un programme de construction de routes et d'autres programmes de secours, mais la pauvreté est généralisée jusque dans les années 1820.

Bateaux de pêche à Terre-Neuve, 1822
Bateaux de pêche à Terre-Neuve, 1822
À la fin des guerres napoléoniennes en 1815, la pêche à la morue devient de moins en moins rentable à Terre-Neuve et au Labrador.
Dessin de L. Francia intitulé The Newfoundland Cod Smack Called Dogger. Tiré de Newfoundland: A Pictorial Record, de Charles de Volpi, Longman Canada Limited, Sherbrooke, Québec, © 1972, p.18. Tirage.

C'est par une diversification de ses activités économiques que la colonie parvient finalement à s'extraire de son ralentissement économique et à ranimer son économie. La chasse au phoque représente un important revenu d'appoint pour les pêcheurs insulaires. La pêche à la morue locale s'étend bientôt aux eaux côtières du Labrador. L'agriculture s'implante, mais à plus petite échelle que la chasse au phoque. Le développement de St. John's transforme la ville en siège commercial et administratif et varie ses sources économiques. Ses structures doivent convenir non seulement aux pêcheurs et aux marchands, mais aussi aux médecins, aux commerçants, aux boulangers, aux bouchers, aux cordonniers, aux horlogers, aux tailleurs, aux journalistes et à tous les autres citoyens.

Avant le ralentissement économique

Avant que s'installe en 1815 cette longue crise économique, les 30 années précédentes se distinguent par un boom économique. La Révolution française (1789-1799), les guerres napoléoniennes (1803-1815) et la guerre anglo-américaine (1812-1814) ont grandement avantagé les pêcheurs insulaires et participé à l'amélioration des conditions socio-économiques de la colonie.

La France, les États-Unis et les autres pays en guerre abandonnent le commerce du poisson. Les pêcheurs insulaires détiennent alors le monopole de cette activité fort lucrative. Quant à l'Angleterre, elle réduit sa flottille de pêche pour éviter les attaques ennemies et renforcer ainsi les effectifs de la Marine royale avec des marins d'expérience. Au cours de ces conflits, le prix du poisson monte en flèche sur les marchés étrangers en raison d'une hausse de la demande. Les marchands et les pêcheurs locaux en sont financièrement les grands bénéficiaires. Attirés par cette soudaine croissance économique, de nombreux immigrants originaires des îles britanniques affluent vers la colonie avec l'espoir de trouver du travail et de fuir l'enrôlement dans les forces armées de l'Europe.

Les exportations de poisson salé, qui atteignaient 625 519 quintaux en 1805, s'élèvent à 1 182 661 en 1815. À la même époque, le nombre d'habitants double presque, passant de 21 975 à 40 568. Les marchands et les habitants-pêcheurs retirent d'énormes profits qui leur permettent de verser de meilleurs salaires aux travailleurs. Ainsi, les préposés au tranchage du poisson qui gagnaient £30 avant la guerre touchent jusqu'à £140 en 1814.

La récession d'après-guerre

La fin des hostilités en 1815 marque aussi celle des circonstances économiques favorables à la colonie. Le prix du poisson salé fléchit au prix d'avant-guerre lorsque les anciens belligérants récupèrent le commerce du poisson et rivalisent de nouveau pour l'accès aux stocks de morue et aux principaux marchés étrangers. Dans le but de restaurer leur industrie de la pêche, la France et les États-Unis offrent des primes aux pêcheurs de morue des Grands Bancs de Terre-Neuve. Les pêcheurs locaux de la colonie n'ont pas droit à un tel incitatif financier. Ils peuvent difficilement concurrencer les pêcheurs européens. La Norvège reprend aussi le commerce du poisson à la fin de la guerre et dispute alors aux autres nations les marchés étrangers, dont celui de l'Espagne.

Parallèlement, plusieurs pays européens augmentent substantiellement leurs droits d'importation sur la morue et d'autres produits. C'est le cas de l'Espagne, un gros marché pour le poisson salé de Terre-Neuve et du Labrador. Les guerres napoléoniennes ont érodé son économie. Elle espère donc qu'une hausse des droits d'importation générera des recettes et stimulera les activités économiques du pays. Cette politique cause un tort immense aux marchands de la colonie et provoque une baisse des profits.

Madrid, Espagne, vers 1820
Madrid, Espagne, vers 1820
Pour la colonie, l'Espagne représente un important marché pour le poisson salé. Lorsque le pays décide d'augmenter ses droits d'importation sur la morue à la fin des guerres napoléoniennes, les marchands en subissent les contrecoups avec une baisse de leurs profits.
Aquarelle de George Heriot, vers 1820. Avec la permission de Bibliothèque et Archives Canada (no co. R9266-267).

Un fléchissement du prix du poisson salé, une concurrence toujours plus féroce et de nouveaux droits d'importation aboutissent à une réduction considérable des revenus que retire la colonie de la pêche à la morue, un secteur autrefois florissant. La dégringolade des profits pousse des marchands à fermer leurs portes et d'autres à restreindre leurs activités. Inévitablement, le salaire des travailleurs diminue et le chômage se propage.

Les immigrants, la plupart Irlandais, continuent de débarquer par bateaux entiers sur l'île de Terre-Neuve malgré les problèmes économiques. En fait, la majorité d'entre eux ignorent qu'une récession sévit. La colonie n'est plus en mesure économiquement de faire face à cette poussée démographique. Les nouveaux arrivants font bondir le taux de chômage et la pauvreté.

Entre 1815 et 1817, l'hiver frappe très durement. Les conditions de vie se dégradent encore. En 1816 et 1817, des incendies laissent des milliers de gens sans abri à St. John's. Au printemps 1817, les chasseurs de phoques sont incapables de prendre la mer en raison du danger que pose la glace. Des familles déjà très pauvres sont alors privées d'un revenu indispensable. La pauvreté rampante, la faim et la misère nourrissent le mécontentement populaire. Des commerces sont pillés. Par exemple, en 1816, les habitants de la collectivité de Bay Bulls attaquent un bateau transportant du pain et de la farine. Des habitants de St. John's, Carbonear et Harbour Grace forcent les portes des entrepôts des marchands pour s'approvisionner en nourriture et autres articles.

Le gouvernement essaie de soulager la misère avec la distribution de provisions et des programmes de construction de routes et d'incitation à l'agriculture. Il ne réussit pas à freiner la montée du chômage et de la pauvreté. Le maintien de programmes de secours représente des coûts supplémentaires qui s'ajoutent aux dépenses habituelles. Le gouvernement est aux prises avec un lourd fardeau financier.

La diversification de l'économie

La diversification des activités économiques permet à la colonie de ne plus s'appuyer seulement sur la pêche à la morue. La dynamisation de son économie offre un revenu aux habitants en difficulté. L'expansion de la chasse au phoque constitue le meilleur moyen de fournir du travail aux pêcheurs au printemps et en hiver. Elle procure aussi un revenu d'appoint crucial. Chaque année, le nombre de goélettes affrétées par les marchands pour la chasse au phoque se multiplie. La totalité des peaux ramenées passe de 126 315 en 1815 à 227 193 en 1821, et atteint 686 836 en 1831.

Dès le début du 19e siècle, St. John's s'impose comme centre administratif de l'île de Terre-Neuve. Contrairement aux collectivités avoisinantes, la ville peut accueillir divers corps de métiers et professions. Elle devient donc moins vulnérable à la volatilité de la pêche, en partie grâce à la présence de représentants gouvernementaux, de juges, d'avocats et d'autres professionnels ayant à leur service des serviteurs, des médecins, des enseignants et d'autres employés liés à leur famille. La ville est en constante croissance démographique et son secteur économique peut dorénavant compter sur les activités de forgerons, de tonneliers, de menuisiers, de brasseurs, de boulangers, de maçons, de tailleurs, de cordonniers et de commerçants, en plus de celles des travailleurs de la pêche.

Entrée du port de St. John's, 1818
Entrée du port de St. John's, 1818
Dessin du lieutenant Edward Chappell, gravure de J. Smith. Tiré de Newfoundland: A Pictorial Record, de Charles de Volpi, Longman Canada Limited, Sherbrooke, Québec, 1972, p. 16. Tirage.

L'agriculture se développe, mais son poids économique reste faible comparativement à celui de la chasse au phoque. Le gouverneur sir Thomas Cochrane offre des concessions de terre. Cette mesure vise à soutenir une agriculture commerciale, mais le rude climat de l'île et un sol acide et rocailleux en limitent le potentiel d'exploitation. Les fermiers de la péninsule d'Avalon assurent leur subsistance en vendant légumes, viande, volaille et œufs aux nombreux habitants de St. John's, mais l'agriculture reste toutefois modeste. Par contre, le nombre de ménages agricoles s'accroît, car bien des familles en région rurale cultivent un potager ou élèvent des poules et du bétail, comme des vaches.

Après la guerre, les pêcheurs insulaires commencent également à pêcher la morue dans les eaux côtières du Labrador. Ces nouveaux stocks permettent de diminuer la pression de la concurrence dans les zones de pêche très populaires. La colonie trouve au Brésil de nouveaux débouchés pour le poisson salé. Au cours des années d'après-guerre, elle consolide ses liens commerciaux avec ses marchés naturels du sud de l'Europe et des Antilles britanniques. La colonie n'a jamais plus connu la prospérité des années de guerre mais la demande des marchés extérieurs pour la morue reste stable pour la majorité du 19e siècle. La pêche demeure le pilier de l'économie de Terre-Neuve et du Labrador.

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