Associations de femmes (1800-1966)

Longtemps avant le mouvement des suffragettes, divers groupes de femmes œuvraient à changer la société et à améliorer les collectivités à Terre-Neuve et au Labrador. Au début du 20e siècle, diverses organisations féminines faisaient des dons de vêtements et d'aliments aux démunis, dispensaient des secours en temps de crise, enseignaient la couture, la cuisine et d'autres activités domestiques et levaient des fonds pour les orphelinats, les hôpitaux et d'autres services essentiels que le gouvernement en viendrait éventuellement à assumer.

Ces groupes ont jeté les bases du mouvement des suffragettes, qui a existé de 1890 jusqu'en 1925, année où les femmes ont obtenu le droit de vote. Par la suite, les groupes de femmes ont continué de se consacrer à des rôles plus traditionnels, comme les levées de fond pour les œuvres de bienfaisance et la promotion d'améliorations en santé, en éducation et en services sociaux. Le mouvement féministe plus récent a gagné en influence durant les années 1970, avec ses protestations contre les injustices sociales envers les femmes.

Premiers groupes féminins

Durant la première moitié du 19e siècle, des Terre-Neuviennes ont commencé à s'organiser afin de lever des fonds pour les pauvres, de combattre les méfaits de l'alcoolisme et d'améliorer les services de santé et d'aide à l'enfance. Les églises encourageaient les associations bénévoles. Si la loi et les traditions tenaient les femmes à l'écart de l'arène politique, les églises leur permettaient d'influencer la société sans défier ouvertement les conventions ou les structures du pouvoir colonial. Malgré les rôles importants des femmes dans l'économie domestique (séchage du poisson, cueillette des baies et culture des légumes), seuls les hommes occupaient l'espace public du commerce et de la politique. Grâce à ces groupes confessionnels, les femmes ont pu redéfinir leur rôle en ajoutant une dimension publique à leur travail traditionnel.

Un des premiers exemples de ces groupes a été la Dorcas Society, créée à St. John's en 1824 par Sarah Ward, l'épouse du révérend Daniel Ward, ministre de l'Église congrégationaliste. Ses membres fabriquaient et donnaient des vêtements, en plus d'offrir des aliments et de l'huile à chauffage aux pauvres et aux familles démunies. On trouvait de ses sections à Harbour Grace, Carbonear et Twillingate. La Société Saint-Vincent-de-Paul, un organisme catholique romain voué au soutien des pauvres et des malheureux, a ouvert une section à St. John's en 1852. Le volet féminin de cette société aidait les familles locales dans le besoin au moyen de levées de fonds.

Tous les groupes féminins n'étaient pas associés à des églises. Ainsi, en 1851, des femmes de St. John's ont formé une section des « Daughters of Temperance », une société internationale de promotion de l'abstinence. Elle n'a pas tardé à se fusionner aux « Sons of Temperance », une association fondée la même année; par la suite, les femmes n'y ont jamais compté pour plus de 10 p. 100 de l'effectif.

À une époque où les services publics étaient rares et la pauvreté chose courante, les femmes ont contribué à subventionner les orphelinats, les soins de santé, l'éducation, les œuvres de bienfaisance, les dépenses paroissiales et l'aide d'urgence en organisant des levées de fonds au moyen de la vente de plats maison, de ventes de charité et en préparant des goûters à l'heure du thé. En se joignant à de telles sociétés, les femmes apprenaient comment mener des réunions, gérer des finances, parler en public, cerner des problèmes sociaux et y proposer des solutions. Leur action concertée leur a aussi permis d'améliorer leurs collectivités et d'assumer plus de contrôle sur leur situation sociale. Ces activités ont joué un rôle majeur dans l'évolution politique des femmes et aidé à poser les bases du mouvement des suffragettes de la fin du 19e siècle et du début du 20e siècle.

Première vague du mouvement féministe

Les groupes parrainés par les églises ont été grands porteurs du développement de la pensée féministe dans l'île. La première vague du mouvement féministe remonte à 1890, lorsque 60 femmes méthodistes, presbytériennes et congrégationalistes ont formé à St. John's une section de la Women's Christian Temperance Union (WCTU, Union chrétienne des femmes pour la tempérance); d'autres sections allaient suivre, notamment à Harbour Grace et à Plaisance (Placentia). Il s'agissait de la première organisation vouée à améliorer le sort des femmes par le biais de réformes politiques.

La WCTU affirmait que l'alcoolisme était responsable de nombreux cas de violence familiale, dont les victimes étaient essentiellement les femmes et les enfants. En conséquence, les femmes revendiquaient le droit de voter, dans le cadre de référendums locaux, sur l'interdiction de la vente d'alcool dans leur collectivité, de manière à améliorer le sort des femmes dans la société. Après que l'Assemblée législative ait rejeté plusieurs pétitions sur cette réforme, la WCTU a réaligné ses visées sur l'appui aux missionnaires et les œuvres de charité.

Le droit de vote est cependant resté un sujet d'intérêt public : après tout, plusieurs autres pays de l'Empire britannique l'avaient accordé aux femmes, notamment la Nouvelle-Zélande en 1893, l'Australie en 1902, la Grande-Bretagne et le Canada en 1918. En décembre 1909, les suffragettes de Terre-Neuve inauguraient à St. John's la Ladies' Reading Room, où allait se réunir le Current Events Club (Club des actualités); il s'agissait d'un local où les femmes pouvaient lire des journaux et des magazines internationaux, débattre des affaires courantes, assister à des conférences et présenter des communications. Comme l'a écrit Margot Duley, ce club était une sorte d'université informelle, qui a aidé à politiser une génération de femmes influentes et leur a fourni une précieuse expérience des délibérations et de l'art oratoire.

Si elle a freiné le mouvement suffragiste, la Première Guerre mondiale n'en a pas moins illustré l'importante contribution des femmes à la société. En 1914, la Women's Patriotic Association (WPA, Association des femmes patriotes) était formée dans l'île de Terre-Neuve pour soutenir les hommes appelés à combattre outre-mer et les familles qu'ils devaient laisser derrière. À la fin des hostilités, la WPA comptait quelque 15 000 membres. Les femmes faisaient du tricot et de la couture, recueillaient des vêtements pour les hommes à l'étranger (les bas gris de l'association sont devenus emblématiques du temps de guerre), organisaient des collectes de fonds pour aider à défrayer l'effort de guerre, visitaient les familles de soldats, fabriquaient des bandages, des compresses, des oreillers et diverses fournitures médicales, et se livraient à nombre d'autres activités de bienfaisance.

La WPA allait être louangée par la presse, les politiciens et le grand public. Au terme des hostilités, elle avait recueilli plus de 500 000 $ (quelque 6,5 millions en dollars d'aujourd'hui) pour l'effort de guerre. En montrant que le travail traditionnel des femmes avait une telle valeur économique et sociale, l'association a fourni aux suffragettes un argument de poids : si les femmes contribuaient à ce point à la société, peut-être devaient-elles avoir leur mot à dire dans son gouvernement.

En 1920, les suffragettes formaient la Women's Franchise League et lançaient une campagne de sensibilisation de la population. Ses membres ont envoyé des lettres aux journaux locaux, fait du porte-à-porte dans les maisons et les commerces et placé des panneaux-réclame dans les cinémas. Elles assuraient que la participation des femmes aux élections permettrait d'améliorer les soins de santé, l'éducation et divers autres services sociaux, et rappelaient que Terre-Neuve était un des derniers pays de l'Empire à refuser aux femmes le droit de vote. Le 9 mars 1925, se rendant à l'évidence, l'Assemblée législative de Terre-Neuve adoptait à l'unanimité un projet de loi pour donner aux femmes de 25 ans et plus (contre 21 ans pour les hommes) le droit de voter et d'être candidates aux élections. La loi serait entérinée le 13 avril 1925.

Le féminisme après les suffragettes

Entre 1925 et l'émergence du mouvement féministe des années 1970, les activistes de la cause des femmes à Terre-Neuve et au Labrador ont consacré le gros de leur action aux préoccupations traditionnelles, d'ordinaire par diverses formes d'action bénévole. Ainsi, elles ont fondé la Child Welfare Association en 1921 pour promouvoir l'hygiène maternelle et infantile. De son côté, la Newfoundland Outport Nursing and Industrial Association (NONIA), créée en 1920, visait à fournir des soins infirmiers, des sages-femmes et d'autres services médicaux aux villages isolés de l'île par la vente d'articles tricotés et tissés par des bénévoles.

Les Jubilee Guilds ont été instituées en 1935. Cette organisation de bénévoles avait pour objet d'améliorer la qualité de vie des femmes et des familles rurales par le bricolage, l'artisanat et l'éducation. Elles ont favorisé diverses formes d'artisanat en enseignant le tissage, la couture et d'autres compétences. Elles encourageaient aussi les femmes à socialiser, à discuter de préoccupations communes et à prendre en main des problèmes locaux. En août 1968, les Jubilee Guilds sont devenues les Newfoundland and Labrador Women's Institutes, élargissant leur mandat aux femmes en milieu urbain. De nos jours, ces groupes tiennent des réunions et des ateliers sur des thèmes comme l'agriculture, l'environnement, la citoyenneté, l'économie domestique, la santé et les affaires internationales.

Dès le début du 20e siècle, certains groupes ont aussi milité pour l'action des femmes dans des rôles non traditionnels. Ainsi, en 1928, des femmes d'affaires de St. John's ont créé le McDonald Fellowship Club. En 1945, une section de la Fédération canadienne des femmes diplômées des universités a été ouverte à St. John's pour promouvoir les études supérieures auprès des femmes et encourager les diplômées à s'engager dans les affaires publiques.

La première organisation qu'on peut dire directement associée au mouvement féministe moderne a été le Local Council of Women de St. John's, créé en 1966. Associé au Conseil national des femmes du Canada, en existence depuis 1893, ce groupe n'a existé que 10 ans; s'il n'a pas prôné le féminisme comme certains de ces successeurs, il n'en a pas moins contribué à leur ouvrir la voie.

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