Trois villes de Terre-Neuve du 18e siècle :

Trepassey, Trinity et St. John's

Jusqu'au 18e siècle, le fait que Terre-Neuve soit considérée comme un territoire de « pêcheries » plutôt qu'une colonie a contribué à freiner le peuplement de l'île. Il aura fallu de réels changements économiques, sociaux et administratifs pour favoriser enfin l'éclosion de collectivités telles que Trepassey, Trinity et St. John's.

La colonisation de Trepassey

Des pêcheurs et des habitants-pêcheurs, français et anglais, ont occupé Trepassey pendant la plus grande partie du 17e siècle à cause de sa proximité avec d'importants bancs de pêche. Toutefois, ils ont tous abandonné les lieux vers 1690, soit au début des conflits opposant la France à l'Angleterre. En 1708, il n'y avait plus aucun habitant sur place.

Trepassey, vers 1770
Trepassey, vers 1770
Un plan du port de Trepassey, avec les baies Mutton et Biscay. Levé topographique effectué par James Cook en 1767; la carte fut publiée en 1770.
Avec la permission du Centre des études terre-neuviennes, bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Les Français n'y sont jamais retournés. Des pêcheurs du sud du Devonshire (et non pas du nord comme précédemment) sont ensuite venus à Trepassey lorsque l'exploitation des bancs a commencé à remplacer la pêche migratoire. La pêche sur les bancs de Terre-Neuve, qui était contrôlée principalement par des compagnies basées à Topsham, près d'Exeter, attirait désormais une nouvelle classe sociale : les « patrons-pêcheurs ». Même si ceux-ci ne s'installaient pas définitivement à Trepassey, ils exerçaient néanmoins une autorité certaine dans les domaines judiciaire et administratif. Personne n'osait contester leur pouvoir, sauf quelques intrus ou les principaux habitants (grands habitants-pêcheurs, professionnels, commerçants, membres du clergé).

Pendant l'été, la population de Trepassey augmentait généralement avec l'arrivée des pêcheurs de morue d'Angleterre et d'Irlande, puis elle diminuait de nouveau avec la venue de l'hiver. Mais, vers les années 1770, grâce à la croissance économique récente liée aux activités de pêche, le nombre de résidents permanents a commencé à surpasser celui des résidents temporaires. Malgré le mélange de colons anglais et irlandais, les plus grandes divisions sociales observées à Trepassey étaient principalement liées aux différences de classes. Les patrons-pêcheurs et les principaux habitants constituaient la classe la plus importante, suivis des habitants-pêcheurs, des gardiens de bateaux, des pêcheurs saisonniers et des employés.

L'association entre Trepassey et les entreprises du sud du Devonshire a cessé à la fin du 18e siècle. L'industrie de la pêche n'a pas récolté les bénéfices escomptés à la suite de la pêche record de 1788 et elle a aussi été affaiblie par le début des conflits franco-anglais en 1793. Au même moment, les traversées transatlantiques devenaient de plus en plus risquées à cause du déclenchement de guerres successives. Les déplacements des hommes et l'acheminement des denrées ont alors cessé, puis St. John's a succédé à la ville de Topsham à titre de superviseur des activités commerciales à Trepassey.

Finalement, le manque de diversité économique a forcé plusieurs habitants anglais à quitter les lieux. Une nouvelle cohorte de catholiques irlandais est arrivée et les résidents anglais qui ont choisi de rester ont été assimilés en deux ou trois générations sur le plan religieux.

La colonisation de Trinity

Plus loin au nord, des pêcheurs anglais ont commencé à visiter Trinity dès le 16e siècle. Pourtant, vers 1740, elle ne rivalisait pas encore d'importance avec des collectivités portuaires telles que Bonavista ou Old Perlican. En été, la population était de plus de 200 âmes, mais il en restait moins d'une douzaine à l'automne. Des habitants-pêcheurs s'y étaient établis plus tôt, mais leur installation n'a pas duré plus d'une génération.

Trinity, vers 1840
Trinity, vers 1840
Vue du bras nord-ouest de Trinity.
Tiré de Wandering Thoughts, de Philip Tocque, Londres, 1846.

Toutefois, vers la fin du 17e siècle, de plus en plus de marchands laissaient leur matériel, et même du poisson, derrière la baie Trinity pendant l'hiver. Le port, facile à défendre, en a incité plusieurs, dont la famille White, à s'y implanter. La présence de cette famille marchande a peut-être contribué à stimuler d'autres habitants à s'y installer puisque l'implication des White dans la pêche au saumon et la pêche migratoire, la chasse au phoque, les opérations d'approvisionnement, le transport maritime et la construction navale nécessitait une grande main-d'œuvre. La ville côtière de Poole, en Angleterre, a fourni une grande partie de cette main-d'œuvre, bien qu'après 1720 un grand nombre d'employés étaient des Irlandais établis à Trinity. Vers 1720, la population locale était suffisamment importante pour qu'on nomme des magistrats et, en 1730, on a procédé à la construction d'une église.

Il est bon de rappeler que la colonisation était encore largement saisonnière à l'époque; parmi ceux qui ne retournaient pas en Angleterre à l'automne, plusieurs se retiraient à l'intérieur des terres pour chasser, trapper ou couper du bois. Toutefois, vers la fin de la première moitié du 18e siècle, Trinity est devenu le principal centre de commerce et de distribution de la côte nord-est de l'île de Terre-Neuve. Cet essor a eu lieu en grande partie grâce à la prospérité de la compagnie de John White, ce qui a incité de nombreuses autres entreprises à venir s'installer dans la région vers 1740.

La croissance démographique était à la hausse et Trinity a pu profiter de l'exploitation grandissante des bancs de pêche dans les années 1760 et 1770 malgré le fait qu'elle était plus éloignée de ceux-ci que la collectivité de Trepassey. Contrairement à celle-ci, Trinity a pu compter sur la diversité de ses activités économiques pour traverser les années difficiles qui ont affecté l'industrie de la pêche à la fin du 18e siècle. Quand la flotte de la pêche côtière a fait faillite en 1767, les marchands les plus prospères ont racheté, et parfois engagé, ceux qui avaient fait banqueroute. Après 1775, quand la pêche migratoire et la pêche sur les bancs ont été menacées par les guerres, ces mêmes marchands ont été en mesure d'essuyer les pertes en adoptant un retour à la pêche côtière, et en se concentrant sur la construction de bateaux ou le commerce général.

La hiérarchie sociale de Trinity était semblable à celle de Trepassey : les classes sociales avaient plus de poids que les divisions entre les Anglais et les Irlandais. Les principales différences, à l'époque, reposaient sur la façon dont chaque collectivité composait avec les revers essuyés par l'industrie de la pêche (migratoire et sur les bancs) de même qu'avec le surplus engendré par les prises record de 1788. Trepassey a connu des problèmes économiques lorsque certaines entreprises ont commencé à se désintéresser de l'industrie de la pêche ou à se retirer pour de bon. D'autre part, à Trinity, des marchands et des commerçants indépendants ont commencé à s'illustrer et ont assuré la pérennité de la communauté en prenant la relève des grands marchands. Trinity est demeuré le cœur économique de la région et, contrairement à Trepassey, la collectivité n'a pas eu besoin de compter sur l'aide de St. John's pendant un certain temps.

La colonisation de St. John's

Avant le 18e siècle, le nombre d'habitants de St. John's n'était pas tellement différent de celui des autres collectivités de l'île. Depuis le 16e siècle, son port était un carrefour pour les bateaux en provenance de différents pays. C'était un lieu idéal pour tous ceux qui voulaient en apprendre davantage sur les activités de pêche de la région. Les navires-marchands appréciaient son emplacement géographique et ses côtes faciles d'accès.

St. John's, T.-N.-L., vers 1750
St. John's, T.-N.-L., vers 1750
Une vue du port de St. John's en regardant vers le sud-ouest. Au premier plan, des pêcheurs étendent de la morue sur des vigneaux.
Artiste inconnu. Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. 137, 3.01.008), bibliothèque Queen Elizabeth II, Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

D'autres reprochaient toutefois à ce port d'être trop protégé. Un vent défavorable pouvait empêcher un bateau de traverser son entrée étroite pendant des jours. De plus, les terres environnantes convenaient peu à la chasse et à l'agriculture. Comme Trepassey et Trinity, l'avenir de St. John's était intimement lié aux événements marquants de la fin du 18e siècle.

St. John's est devenu le centre des activités de pêche qui se sont développées sur les bancs au début du 18e siècle. Les bateaux anglais qui se dirigeaient vers les bancs laissaient d'abord descendre les passagers venus à St. John's pour trouver un emploi dans la pêche à petit bateau ouvert (bye-boat). D'autre part, les employés à Terre-Neuve qui cherchaient à retourner en Angleterre devaient passer par St. John's pour trouver un bateau. La population locale était encore peu nombreuse étant donné que la prospérité des pêches migratoire et sur les bancs faisait la vie dure à la pêche côtière locale. Les guerres ont aussi eu leur rôle à jouer et le peuplement est resté précaire tant et aussi longtemps que les menaces d'attaques ont perduré.

Finalement, l'effondrement de l'industrie de la pêche côtière a favorisé la colonisation à St. John's. Certains pêcheurs sont devenus commerçants ou ouvriers de quai tandis que d'autres ont ouvert des boutiques, des tavernes ou des entrepôts. Quand la pêche anglaise s'est répandue à l'ouest de la baie Placentia et au nord de Bonavista, St. John's est devenu un centre de commerce de plus en plus important ainsi qu'un carrefour commercial. Vers 1770, St. John's distribuait des aliments et des provisions aux autres collectivités.

Placentia (Plaisance), vers 1780
Placentia (Plaisance), vers 1780
Une vue de Placentia (à l'arrière-plan), en regardant vers le sud-ouest.
Tiré du journal de bord du H.M.S. Pegasus, 1786. Dessin de J.S. Meres. Avec la permission de Bibliothèque et Archives Canada (NAC/C 2521).

Cet essor s'est poursuivi également lorsque la ville est devenue un centre administratif. Quand les officiers de la marine, qui avaient utilisé le port pendant des années pour leurs manœuvres, ont commencé à assurer le gouvernement de la marine, ils n'ont pas cru bon d'aller s'installer ailleurs. Des bureaux de douanes et des tribunaux ont été créés au cours des années qui ont suivi. Les fortifications ont été améliorées et les garnisons ont été renforcées après 1770. Bien protégée, la ville a attiré plusieurs hommes d'affaires ainsi que des commerçants et des artisans (tailleurs, boulangers, barbiers, etc.) dont les activités n'avaient rien à voir avec l'industrie de la pêche.

La croissance de St. John's, comme celle de Trepassey, reposait en grande partie sur la pêche migratoire; mais, comme Trinity, St. John's était en mesure de prospérer malgré les adversités économiques. La rivalité opposant les hommes d'affaires de St. John's a attiré des habitants d'autres collectivités à l'affût de prix moins élevés. Des femmes domestiques sont venues s'établir grâce au soutien de civils et de militaires influents. Comme elles trouvaient rapidement du travail à St. John's, elles s'y mariaient et s'y installaient peu de temps après leur arrivée. Ces changements démographiques ont favorisé l'agriculture, l'élevage des animaux et la construction de maisons parfois élégantes et luxueuses.

La population a augmenté de façon stable au cours de la dernière moitié du 18e siècle et des milliers d'immigrants irlandais sont arrivés au début du 19e siècle pour s'établir à St. John's ou ailleurs. En peu de temps, la ville avait ses journaux locaux, ses établissements de santé et ses bibliothèques. Il était désormais évident que St. John's avait tout ce qu'il fallait pour devenir un jour la capitale de Terre-Neuve.

The Royal Gazette, 1828
The Royal Gazette, 1828
Un des premiers journaux de Terre-Neuve.
Avec la permission de la bibliothèque provinciale de références et de ressources, Arts and Culture Centre, St. John's, T.-N.-L.

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