St. John's au 18e siècle

Au cours du 18e siècle, Terre-Neuve était décentralisée d'une façon qu'il nous est difficile de concevoir de nos jours. Des collectivités telles que Harbour Grace, Trinity, Placentia (Plaisance) et Trepassey considéraient que c'était l'Angleterre et non St. John's qui était leur capitale. De plus, elles ne faisaient pas commerce entre elles, mais plutôt avec des collectivités de l'autre côté de l'Atlantique. Par exemple, Trepassey était étroitement lié à Topsham (comté de Devon), et Trinity avec Poole (comté de Dorset). Les choses ont commencé à changer en 1788, en partie à cause du déclin de la pêche migratoire, mais aussi en raison des perturbations que les guerres ont provoquées dans le domaine des communications transatlantiques. Vers la fin de cette période de conflits, il était évident que St. John's était devenu le centre économique, social, militaire et administratif d'une société coloniale émergente. Les gouverneurs Gower et Keats se sont émerveillés de la transformation fulgurante que St. John's a connue en quelques décennies seulement en passant de « simple campement de pêche à ville commerciale (Head, 1976, p. 234) ».

St. John's, s.d.
St. John's, s.d.
Légende d'origine de cette image: « Vue sur l'entrée du port (The Narrows) de St. John's, Terre-Neuve, avec ses nombreux chafauds » [Traduction libre]
Dessin de A. Thompson, sans date. Tiré de Newfoundland in 1842: a sequel to "The Canadas in 1841", de Richard Henry Bonnycastle, (Londres: Henry Colburn, 1842) p. 6. Autorisé sous licence dans le domaine public par Wikimédia Commons

La prospérité marchande

Bien qu'établie depuis longtemps, l'importance administrative et militaire de St. John's a eu peu d'impact économique jusqu'à la fin du 18e siècle. Au cours des années suivantes, le volume du transport maritime a augmenté grâce à la sécurité qui régnait dans le port ainsi qu'à la présence de nombreuses installations d'entreposage. Contrairement aux plus petites collectivités telles que Trepassey et Trinity, St. John's n'a jamais été contrôlé uniquement par un ou deux « grands commerçants » et la guerre a renforcé ce modèle économique en créant de nouvelles occasions d'affaires pour le commerce des produits de la pêche, ce que les marchands anciens et nouveaux, petits et gros, ont vite su reconnaître et exploiter. Il était aussi possible de faire d'immenses profits grâce à la vente de vaisseaux américains qui avaient été saisis durant la guerre d'Indépendance.

La prospérité qui en a découlé était artificielle et fut grandement réduite après la fin de la guerre. Néanmoins, cette conjoncture était attrayante pour ceux qui avaient émigré dans cette ville ou qui y faisaient des affaires. Même les colons installés dans des ports secondaires situés près de St. John's préféraient acheter et vendre à cet endroit parce que la concurrence qui régnait entre les marchands leur permettait d'obtenir de meilleurs prix que ce qu'ils auraient pu obtenir dans leurs collectivités locales.

La prospérité et la diversité de St. John's ont également été favorisées par une importante augmentation du nombre de fortifications ainsi que des ressources destinées à l'escadre navale et à la garnison. Cela a entraîné une augmentation significative des dépenses militaires et navales en plus d'attirer un grand nombre d'ouvriers, d'artisans et de commerçants. Avant 1775, la plupart des commerçants œuvrant à St. John's étaient liés d'une façon ou d'une autre au commerce de la pêche. Vingt ans plus tard, on y trouvait des cordonniers, un horloger, un vitrier, un boulanger, des barbiers, des maçons ainsi que cinq tailleurs.

Comme le nombre d'artisans et de marchands établis de façon permanente à St. John's augmentait, toutes les conditions étaient réunies pour favoriser la croissance de la population. En 1793, un marchand a attribué la croissance démographique de St. John's au nombre de plus en plus élevé de femmes domestiques que les officiels civils et militaires faisaient venir sur les lieux. Il regrettait le fait que les femmes « allaient marier des résidents de St. John's et s'établir dans cette ville, ce qui nécessiterait de les remplacer par d'autres femmes chaque année (Handcock, 1989, p. 95) ». [Traduction libre] Au milieu du 18e siècle, la population de St. John's était un peu plus élevée que celle de Harbour Grace, soit environ 1000 personnes pendant la saison hivernale. En 1786, elle était de 2500 âmes, tandis qu'en 1807 on comptait plus de 5000 habitants. En 1813, la population avait doublé une fois de plus.

Water Street, St. John's, vue vers l'ouest, 1837
Water Street, St. John's, vue vers l'ouest, 1837
En 1813, environ 10 000 personnes vivaient à St. John's.
Dessin de Woodbury. Tiré de Newfoundland from the English, Colonial, and Foreign Records, de D.W. Prowse, 2e édition, Londres, Eyre and Spottiswoode, 1896, p. 445.

Cette croissance économique et démographique explique pourquoi St. John's a eu des journaux, des bibliothèques, des organismes caritatifs, des services de santé et autres avant tout autre endroit à Terre-Neuve. Au cours des guerres napoléoniennes, contrairement aux autres collectivités, St. John's a adopté l'allure et plusieurs des traits caractéristiques d'un véritable centre urbain.

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