La défense des pêcheries

Terre-Neuve ne comptait aucune ville de garnison jusqu'à ce que la France établisse une colonie à Plaisance en 1662 (renommée plus tard Placentia). Les Britanniques ont fini par installer un poste fortifié à leur tour, d'abord à St. John's, puis à Placentia. Toutefois, le principal moyen utilisé pour défendre des pêcheries britanniques consistait à concentrer des navires de guerre de la Marine royale dans les eaux européennes, là où il était possible de protéger les compagnies de pêcheries du sud-ouest de l'Angleterre (West Country) tout en contrôlant leurs voies de commerce et de communication. À Terre-Neuve même, la défense était assurée par l'escorte navale qui restait sur place pendant la saison de la pêche. Cette pratique, qui a commencé dans les années 1650, est éventuellement devenue la pierre angulaire de la logistique britannique pour défendre non seulement l'industrie des pêches et du commerce de l'île de Terre-Neuve, mais aussi l'ensemble de l'empire et du commerce maritimes du royaume.

Le port de Portsmouth, vers 1700
Le port de Portsmouth, vers 1700
Portsmouth était l'un des ports de guerre les plus importants de la Grande-Bretagne. Ce lieu était souvent le point de départ des vaisseaux en partance pour Terre-Neuve. Détail d'une gravure de Hulsbergh, d'après l'œuvre de Lightbody.
Tiré de The Sea: Its History and Romance, vol. II, de Frank C. Bowen, Londres, Halton & Truscott Smith, Ltd., 1926, p. 6.

La lutte pour le contrôle

Quelques bateaux seulement étaient postés dans les centres réservés au commerce colonial. La véritable bataille pour le contrôle du commerce outre-mer se déroulait dans les eaux européennes, là où se trouvaient les ports d'expédition et de réception des produits de la pêche. C'est là que les flottes rivales concentraient leurs efforts et menaient les combats décisifs. C'était le commerce lui-même, et non le territoire, qui devait être protégé.

Jusque-là, il ne semblait pas nécessaire aux autorités de fortifier Terre-Neuve, une île qui était prétendument vide la plus grande partie de l'année, d'autant plus que seule une flotte navale était en mesure de protéger les pêches migratoires et le commerce pendant les traversées transatlantiques. Il semblait aussi évident que les fortifications n'étaient pas vraiment efficaces pour protéger des activités aussi dispersées que celles de la pêche. Comme les lords du commerce l'ont expliqué en 1675, « aucune fortification ne peut assurer la moindre sécurité à cause de la distance des ports » (Graham, 1942, p. 260-261) [Traduction libre]; et comme l'a déclaré le Comité du Conseil privé la même année, Terre-Neuve « appartiendra toujours à celui qui domine sur la mer » (Janzen, 1983, p. 15) [Traduction libre].

Cette conclusion semblait justifiée par l'expérience de la guerre de Succession d'Espagne (1702-1713) alors que le fort français de Plaisance avait résisté avec succès à une expédition britannique et tenu plus de deux ans contre le blocus ennemi alors que Fort William n'avait pu empêcher la destruction de St. John's au cours d'une attaque et qu'il avait été pris par l'ennemi lors d'une autre confrontation. Même si les Français ont « gagné » sur tous les plans à Terre-Neuve, le traité d'Utrecht (1713) a accordé la souveraineté de l'île à la Grande-Bretagne plutôt qu'à la France à la fin de la guerre. Il s'agit là d'une conséquence directe des batailles gagnées et perdues en Europe et à proximité de ce continent, de même qu'une répercussion de la destruction de la flotte marchande française par la puissance navale britannique. Le rôle des fortifications n'a donc pas eu un impact significatif sur le cours des événements.

Il en a été ainsi pendant la plus grande partie du début du 18e siècle. Les garnisons britanniques de Placentia et de St. John's étaient modestes et négligées par les autorités. Quant aux fortifications, qui ne cessaient de se détériorer, elles n'avaient pas été conçues pour protéger l'île et ses habitants. Comme le duc de Richmond l'a expliqué en 1766 : « La protection des navires, des marins et des outils de pêche contre une attaque soudaine [...] est notre principale préoccupation étant donné que la protection des habitants établis sur l'île est infaisable et non souhaitable » (Janzen, 1986, p. 168 ; Candow, 1984, p. 24) [Traduction libre]. Les fortifications ne procuraient rien de plus qu'un lieu fort où les pêcheurs qui s'adonnaient à la pêche migratoire pouvaient trouver refuge en cas de danger. Les autorités officielles considéraient que l'île de Terre-Neuve était encore – ou devait rester – un lieu de pêche migratoire où la présence d'une défense navale constituait la meilleure option.

La guerre de Sept Ans

Puis la guerre de Sept Ans a éclaté (1755-1763). Au cours des dernières phases de ce conflit, les Britanniques ont prouvé la supériorité écrasante de leur puissance navale dans tout l'Atlantique nord. Les flottes britanniques ont détruit maintes fois celles de la France, ce qui a empêché les Français de protéger leurs colonies d'outre-mer contre les Britanniques, notamment celles de la Nouvelle-France et de la ville fortifiée de Louisbourg. Toutefois, en 1762, les Français sont parvenus à organiser une petite expédition vers Terre-Neuve et ce raid audacieux a bien failli être un succès. En accostant à Bay Bulls et en envoyant leurs troupes attaquer St. John's par-derrière en empruntant les voies terrestres, ils ont pris au dépourvu ceux qui étaient affectés à la défense de St. John's. Fort William et sa garnison ont capitulé après seulement quelques tirs de boulets. Les Français ont alors occupé St. John's pendant près de trois mois.

L'offensive des Français contre St. John's, 1762
L'offensive des Français contre St. John's, 1762
Artiste inconnu. En juin 1762, au cours de la guerre de Sept Ans, les Français se sont emparés de St. John's. Ce dessin est probablement une représentation fantaisiste de cette bataille.
Avec la permission de Bibliothèque et Archives Canada (BAC/C-040901).

Malgré ce raid, les Britanniques n'ont pas changé d'opinion quant à la meilleure façon de défendre leurs pêcheries. Au contraire, la vitesse et la facilité avec lesquelles St. John's avait finalement été repris semblaient confirmer que Terre-Neuve « appartenait à celui qui domine sur la mer ». Néanmoins, il était aussi évident que la puissance navale britannique ne pouvait garantir la sécurité des possessions britanniques d'outre-mer. Ce raid avait infligé des dommages substantiels aux pêches, lesquelles n'étaient plus seulement de type migratoire. Désormais, les pêches et le commerce dépendaient largement des installations d'entreposage, de services et de commerce dans de nombreux ports. La défense de ces établissements était donc de la plus haute importance, mais les fortifications déjà en place à St. John's n'étaient pas en mesure d'assumer ce rôle. Par conséquent, toute la question de la défense locale a dû être examinée avec soin au cours des années 1760, car il était urgent de déterminer le genre de fortifications améliorées qui étaient désormais nécessaires et les meilleurs sites pour les ériger.

Des ouvrages défensifs améliorés

Ces réflexions ont donné lieu à la construction, au cours des années 1770, de nouvelles fortifications à St. John's. On a jugé que ce port était le plus adéquat pour la défense des pêches à cause de son site central et de la facilité avec laquelle on pouvait le défendre. On a d'abord érigé Fort Amherst pour défendre l'entrée du chenal appelé The Narrows, puis on a construit Fort Townshend, surplombant le port, pour empêcher les attaques surprises par-derrière. Ces nouveaux ouvrages défensifs ont été conçus pour repousser les attaques telle celle lancée par les Français en 1762.

Vue du site de Fort Amherst, port de St. John's, 1997
Vue du site de Fort Amherst, port de St. John's, 1997
Fort Amherst a été construit dans les années 1770 pour défendre l'entrée du chenal appelé The Narrows. Le fort original a disparu depuis longtemps. Durant la Deuxième Guerre mondiale, ce site a été utilisé comme emplacement d'artillerie pour protéger le port contre les sous-marins allemands.
Avec la permission de Wendy Churchill. Photographie : © 1997.

Tous pressentaient l'éclatement imminent d'une guerre entre l'Angleterre et la France ainsi qu'une autre attaque de la France contre les pêcheries britanniques. Lorsque le conflit a éclaté pendant la guerre d'Indépendance des États-Unis, l'attaque redoutée n'a pas eu lieu. Pour diverses raisons, les Français n'ont jamais attaqué les pêcheries de Terre-Neuve au cours de cette guerre, car ils savaient que les vraies décisions seraient prises à la table de négociation. En fait, ce n'est que pendant les guerres de la Révolution française que les ouvrages défensifs construits dans les années 1770 ont enfin pu être testés. En 1796, l'amiral français de Richery mène l'attaque sur les pêcheries britanniques. Les impressionnants ouvrages défensifs de St. John's ont découragé une éventuelle attaque sur le port, prouvant ainsi leur efficacité. Toutefois, ceux de St. John's n'ont pu empêcher la destruction de Petty Harbour, de Bay Bulls et d'autres lieux de pêche situés à proximité. Le raid de Richery a confirmé que la sécurité des pêches migratoires à la fin du 18e siècle ne pouvait être assurée par un seul port, et ce, même si celui-ci était bien défendu (en supposant, bien sûr, qu'une telle protection aurait pu être possible).

De plus, bien que les ouvrages défensifs renforcés de St. John's aient été conçus pour aider à protéger les pêches migratoires à une époque de concurrence féroce entre la France et l'Angleterre, ils ont peut-être participé à leur déclin. La construction et l'entretien de ces constructions élaborées ont attiré des commerçants, des artisans et de nombreux soldats de garnison qui ont inévitablement stimulé l'essor économique et social de la ville. Leur arrivée a contribué à faire de St. John's une vraie capitale. En outre, pendant la guerre de 1778-1783, les autorités locales de la ville avaient enrichi la garnison d'une milice, puis d'un régiment provincial, doublant ainsi l'importance de la garnison. Ces décisions ont renforcé l'impact économique et social de celle-ci. De plus, ces solutions venaient confirmer implicitement que la pêche migratoire dépendait dorénavant de la présence d'une population permanente.

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