Les conséquences des guerres franco-britanniques, 1793-1803

Peu de temps après l'effondrement massif du marché survenu à la fin des années 1780, les guerres franco-anglaises ont eu un effet dévastateur sur la pêche migratoire. Le raid de l'amiral de Richery, en 1796, a semé la panique et causé des dommages. La même année, l'Espagne est entrée en guerre à son tour en devenant l'alliée de la France et elle s'est empressée de fermer ses ports à la Grande-Bretagne pour faire obstacle à ses activités commerciales. Le poisson salé britannique pouvait entrer clandestinement en Espagne via le Portugal, mais la surabondance de poissons expédiés dans les ports portugais a fait chuter les prix. En 1800, alors qu'une menace d'invasion était imminente au Portugal, le marché était trop instable pour les marchands spécialisés dans l'industrie de la pêche. Par conséquent, ces derniers ont décidé d'augmenter le volume de poisson qu'ils envoyaient aux Antilles. Dans l'ensemble, les niveaux d'exportation sont demeurés raisonnablement élevés (400 000 quintaux en 1800), mais l'état du marché était généralement affaibli, surtout depuis que les pays scandinaves et - fait moins étonnant - les États-Unis s'affichaient comme des concurrents de plus en plus sérieux en exportant pratiquement autant de poisson que la Grande-Bretagne au cours de ces années.

Une lutte économique

Le nombre de faillites au cours de la première décennie de la guerre était une conséquence directe de l'incertitude qui régnait alors à Terre-Neuve dans le domaine du commerce du poisson. Non seulement les marchés étaient difficiles mais, en outre, les risques et les tarifs d'assurance montaient en flèche à cause de la guerre, ce qui augmentait les frais généraux des marchands. La pénurie de main-d'œuvre a fait gonfler les salaires dans l'industrie de la pêche, de la marine marchande et de l'industrie de la construction navale. Comme l'expédition des matériaux nécessaires à la construction et à l'équipement des bateaux et des navires était souvent interrompue à cause des conflits, les coûts de l'industrie navale ont inévitablement augmenté. La hausse des coûts d'exploitation a contribué inévitablement à faire grimper les taux de fret en cette période de guerre.

Ces événements ont fait en sorte que les marchands britanniques ont commencé à retirer leurs capitaux de l'industrie de la pêche pour investir dans l'industrie des transports. Comme ils ne pouvaient plus compter sur les profits de la pêche, ils tentaient d'obtenir de meilleurs rendements avec le transport maritime et le commerce en tirant avantage des taux de fret plus élevés en temps de guerre. Le nombre de bateaux de pêche réservés à la pêche migratoire, et plus particulièrement à la pêche sur les bancs, basés en Grande-Bretagne avait diminué de façon spectaculaire. Cette flottille de pêche hauturière comptait 82 bateaux en 1793; en 1807, il n'en restait plus que 33 dont 30 étaient basés à St. John's.

Les marchands étaient à la recherche d'investissements sûrs. Par exemple, des entreprises de la ville de Poole faisant affaire à Trinity ont retiré une partie de leurs capitaux de l'industrie de la pêche pour investir dans celle des transports. D'autres ont réaffecté leurs avoirs ailleurs, notamment dans l'industrie de la pêche à la morue du Nord, la nouvelle industrie de la chasse au phoque qui avait lieu au printemps ou la pêche sur la côte française (aussi appelé French Shore ou Treaty Shore), lequel avait été abandonnée par les Français au moment où la guerre avait éclaté. En 1801, un seul terre-neuvier (bateau utilisé pour la pêche à la morue sur les bancs de Terre-Neuve) était basé à Trinity. En 1788, l'entreprise Lester and Company avait une flotte de 20 bateaux dont la moitié était des terre-neuviers consacrés à la pêche à la morue. En 1800, la flotte était réduite à 11 bateau seulement et la plupart étaient réservés à l'industrie des transports.

Les installations Lester and Company à Trinity, vers 1800
Les installations Lester and Company à Trinity, vers 1800
Une représentation moderne des installations de Lester and Company à Trinity, à la fin du 18e siècle.
[Les installations Lester, voilerie, atelier, chantier naval, forge, cuves d'huile, entrepôt de peaux de phoque, entrepôt de sel, écurie, cave, remise à foin, entrepôt de poissons, provisions de poisson et de marchandises sèches, cuisine, habitation et bureau, entrepôt de poissons, atelier, immeuble des comptables, provisions sèches, magasin, atelier du tonnelier]
Avec la permission de Gordon Handcock, ©1983. Tiré de Part of the Main: An Illustrated History of Newfoundland and Labrador, de Peter Neary et Patrick O'Flaherty, St. John's, 1983, p.32.

Au cours de ces années, la période de guerre n'était pas trop désastreuse pour les marchands qui s'étaient retirés de l'industrie de la pêche pour investir dans le commerce de la pêche. Contrairement à ce qu'on avait pu observer au cours des guerres précédentes, cette fois le gouvernement britannique n'était pas assailli par une foule de gens ruinés et découragés. Le déclin de la pêche migratoire ne soulignait donc pas la fin de cette industrie mais plutôt sa transformation. Les marchands du sud-ouest de l'Angleterre avaient commencé depuis longtemps à diminuer leurs activités directes dans l'industrie de la pêche pour se tourner vers d'autres secteurs tels que l'industrie des transports et de l'approvisionnement. Le surplus de pêche de 1788 à 1791 et le début de la guerre en 1793 ont simplement accéléré une tendance déjà bien amorcée. Les niveaux de production dans le domaine de la pêche sont demeurés plus importants que tout ce que l'industrie de pêche britannique avait pu atteindre avant 1750. Pour la toute première fois, la pêche des résidents (pêche sédentaire) était en mesure de compenser les périodes de production moins fructueuses dues à la réduction de la pêche migratoire.

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