Colonisation et société

La croissance de la population locale n'a pas modifié de façon notable les modes de colonisation qui avaient été établis à Terre-Neuve avant 1815. Même en 1836, environ 56 p. 100 de la population vivait à St. John's et le long des côtes de la baie de la Conception ou dans les environs. Ce pourcentage n'était pas très différent de ce qu'il était 50 ans plus tôt. La croissance démographique (due à l'accroissement naturel ou à l'immigration) était plutôt uniforme dans les zones établies.

Topsail, baie de la Conception, s.d.
Topsail, baie de la Conception, s.d.
Bell Island (l'île Bell) et Little Bell Island peuvent être vues au loin.
Dessin de Percival Skelton. Tiré de Newfoundland, the Oldest British Colony, de Joseph Hatton et M. Harvey, Londres, Chapman and Hall, 1883, p. 166.

Les conséquences de la colonisation

L'intensification du mode de colonisation déjà établi a eu des conséquences très importantes puisque les communautés et les ports n'étaient pas tous en mesure d'absorber une augmentation significative du nombre de résidents. Des parties de la côte sud, par exemple, sont devenues surpeuplées. Certaines personnes ont quitté la région, d'autres ont occupé des anses et des havres qui ne faisaient pas partie de leurs premiers choix puisque ces lieux n'étaient pas particulièrement favorables aux activités de pêche effectuées par bateau. C'est ainsi que St. Shott's, une communauté située sur la pointe la plus au sud de la péninsule d'Avalon, entre les baies Trepassey et St. Mary's, a été colonisée de façon permanente.

Certains problèmes ont surgi là où l'accélération et l'ampleur de la croissance démographique étaient particulièrement intenses et concentrées, notamment à St. John's : surpeuplement, manque d'installations sanitaires et insuffisance d'institutions sociales (p. ex. : police, hôpitaux et écoles). Malgré la situation, le gouvernement britannique a refusé de composer de manière constructive avec ces nouvelles difficultés parce qu'il continuait de considérer Terre-Neuve comme un territoire de pêche plutôt que comme une colonie. Ce semblant de désintérêt de la part de l'Angleterre a donc forcé les autorités locales à prendre elles-mêmes la plupart des décisions visant à améliorer la vie sociale et culturelle sur l'île.

L'aide aux pauvres

Ainsi, la Benevolent Irish Society a été fondée en 1806 pour venir en aide aux résidents irlandais défavorisés. À St. John's, la Society for Improving the Condition of the Poor [société qui vise à améliorer la vie des démunis], fondée en 1803 par plusieurs marchands et chefs religieux (protestants et catholiques) avec le soutien du gouverneur James Gambier, était résolument interventionniste dans sa manière de traiter les problèmes liés à la pauvreté. Son but était de promouvoir les « bonnes » valeurs des « classes respectables » auprès des démunis ainsi que les compétences nécessaires pouvant aider ces derniers à améliorer leur sort. Le gouverneur Gower a plus tard fait l'éloge de la Société en prédisant qu'elle deviendrait « un exemple de la compassion désintéressée des classes les plus élevées de cette communauté de même qu'une source de bonheur et d'amélioration pour l'avenir des classes inférieures ».

Le sceau de la Benevolent Irish Society
Le sceau de la Benevolent Irish Society
La Benevolent Irish Society a été fondée en 1806 pour venir en aide aux résidents irlandais démunis.
Tiré de Contemporary Volume, Benevolent Irish Society of St. John's, NL, 1806-1906, de la Benevolent Irish Society (St. John's, T.-N.-L.), Cork, Irlande, Guy & Co., 1906, p. 3.

De telles tentatives pour réduire la misère et le désordre à St. John's au début du 19e siècle peuvent être considérées comme une preuve supplémentaire de la transformation de Terre-Neuve en véritable colonie. Comme de plus en plus de marchands s'établissaient pour de bon à Terre-Neuve, la richesse générée par la pêche et le commerce du poisson restait sur l'île. Le nombre de calèches et de belles maisons de même que le nombre de professionnels, de gens de métiers, d'artisans et de petits commerçants, la fondation de la Mercantile Society en 1806 (un organisme préoccupé par l'essor commercial), la parution d'un journal en 1807, la création d'une salle de lecture publique avant 1810, d'une brigade de pompiers volontaires en 1811 et d'une force constabulaire en 1812, et même la visite d'une troupe de théâtre québécoise en 1806… tout cela a confirmé qu'une véritable « société » et une élite résidante permanente s'étaient développées à Terre-Neuve.

Parallèlement à ce développement sont venues les premières manifestations publiques d'insatisfaction face au refus persistant du gouvernement britannique de reconnaître Terre-Neuve comme colonie. Même si des concessions mineures ont été faites au sein de cette société en mutation, dans l'ensemble l'île était toujours soumise à des réglementations destinées à soutenir une pêche migratoire qui dépérissait rapidement. En 1811 et en 1813, William Carson a publié ses premiers dépliants contestataires prônant une véritable « réforme ». Cette apparente agitation en faveur d'une réforme politique témoigne des progrès que Terre-Neuve a accomplis au cours de sa transformation de territoire de pêche en colonie, et ce, même s'il lui restait encore beaucoup de chemin à parcourir.

English version