Vie et travail dans les mines de l'île Bell

Le travail dans les mines de l'île Bell était difficile et souvent dangereux. Jusqu'à l'adoption de la journée de huit heures, en 1943, les employés travaillaient souvent dix heures par jour, six jours par semaine, ce qui signifie que pendant environ six mois par année, les travailleurs de l'équipe de jour ne voyaient la lumière du jour que le dimanche. Au début, les mineurs s'éclairaient à l'aide de chandelles ou de lampes en étain consumant de l'huile de phoque. En 1911, on les a équipés de lampes à carbure et, en 1935, les travailleurs ont commencé à fixer des lampes électriques à batterie sur leurs casques.

Mine no 3, vers 1900
Mine no 3, vers 1900
Des mineurs de l'île Bell, à l'entrée de la mine no 3, s'apprêtant à descendre pour le quart de travail de 18 h. Les chandelles fixées sur leurs casques les aidaient à se repérer dans les galeries souterraines.
Avec la permission de Sadie House.

Pendant longtemps, il n'y avait ni toilettes ni service de cantine pour les travailleurs. De plus, les mines étaient souvent très froides. Jusqu'à l'arrivée d'un équipement plus moderne dans les années 1950, le minerai extrait par forage et dynamitage devait être chargé dans des bennes à l'aide d'une pelle, une tâche des plus éreintantes. En principe, deux hommes devaient remplir au moins 20 wagons de minerai par quart de travail.

Les wagons étaient tirés par des chevaux jusqu'à la galerie de base et aux locomotives de mine en attente. Chaque mine était pourvue d'écuries souterraines et ce sont des travailleurs spécialisés appelés toucheurs (teamsters) qui s'occupaient des chevaux. Les chevaux des mines avaient bonne réputation. Plusieurs d'entre eux ont passé pratiquement toute leur vie adulte dans les mines. On raconte qu'un cheval notamment aurait travaillé pendant 26 ans dans la mine no 6. Grâce au plan de modernisation des années 1950, les chevaux ont été remplacés par des convoyeurs à bande et le chargement du minerai était désormais effectué par des machines plutôt qu'à la pelle.

Règlements de sécurité

Il a fallu du temps avant que des règlements de sécurité soient enfin adoptés. Au début, les mineurs portaient souvent des bottes en peau de phoque de fabrication artisanale. Ce n'est que dans les années 1950 que le port des bottes de sécurité munies de bouts en acier est devenu obligatoire. À l'île Bell, comme sur la plupart des sites miniers, plusieurs accidents se sont soldés par des blessures ou des pertes de vie. En 1938, par exemple, une explosion de gaz méthane dans la mine no 6 a coûté la vie à deux hommes et en a blessé plusieurs autres. Le 11 janvier 1952, un homme a été tué par un wagon à minerai de 20 tonnes dans la mine no 3 et, en octobre 1949, deux autres ont été tués par des wagons hors de contrôle. Les accidents de travail ont augmenté dans les années 1950 avec l'arrivée d'une nouvelle machinerie plus puissante et plus rapide. Lorsqu'un travailleur perdait la vie au travail, ses compagnons – comme c'était aussi la tradition dans les autres mines – cessaient de travailler sur-le-champ pour remonter à la surface.

Pendant de nombreuses années, aucune loi n'imposait de limite d'âge pour travailler dans les mines. Des garçons âgés d'à peine 10 ou 11 ans étaient affectés aux bandes transporteuses où ils procédaient au triage du minerai en séparant les morceaux selon leur grosseur et en rejetant les petits morceaux de roche inutiles. Aussi, de nombreux hommes travaillaient jusqu'à un âge très avancé comparativement aux normes en vigueur de nos jours. Certains d'entre eux auraient travaillé jusqu'à l'âge de 80 ans. Pendant leurs dernières années dans les mines, ces hommes étaient souvent affectés aux mêmes tâches que les jeunes garçons. Les sociétés minières avaient avantage à engager de jeunes garçons, car ceux-ci étaient moins bien rémunérés que les adultes. En 1916, par exemple, les garçons gagnaient 10 cents l'heure tandis que les hommes en recevaient 13. En 1928, le salaire des jeunes pouvait atteindre 19 cents l'heure tandis que celui des hommes était de 22 cents l'heure. Aucun document n'indique que des femmes auraient travaillé dans les mines de l'île Bell. Certains hommes croyaient apparemment que la présence des femmes pouvait porter malheur dans une mine et qu'un accident pourrait se produire si l'une d'elles osait s'y aventurer. Cette superstition leur avait peut-être été transmise par des pêcheurs, car on racontait à plusieurs endroits que cela portait malheur si une femme montait à bord d'un bateau de pêche.

Les syndicats des mineurs

Au fil des années, plusieurs des changements instaurés pour améliorer les conditions de travail et les salaires ont été le fruit des efforts de différents syndicats de mineurs. À l'île Bell, la première grève à avoir été consignée dans les archives a eu lieu le 24 août 1896 alors que 180 travailleurs ont quitté leur emploi en réclamant que leur salaire passe de 10 à 12 cents l'heure. Cette grève n'a pas eu le succès escompté et les hommes sont retournés au travail. En juillet 1900, peu de temps après sa création, le Wabana Workmen and Labourers' Union (WMLU) a fait la grève en réclamant une hausse salariale de 50 p. 100, ce qui aurait garanti 50 cents l'heure aux travailleurs. Cette grève a pris fin grâce à un accord connu dans la région sous le nom de Treaty of Kelligrews (le traité de Kelligrews), mais il convient de noter que la compagnie avait précédemment eu recours à l'intimidation physique pour persuader ses employés de retourner au travail.

Des mineurs de l'île Bell, vers 1900
Des mineurs de l'île Bell, vers 1900
La grève organisée en juillet 1900 par le WMLU a pris fin grâce à un accord connu sous le nom de Treaty of Kelligrews.
Photographie de Holloway. Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (Coll. - 137, 10.13.003), Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Le WMLU a été dissous peu après le retour au travail des mineurs, mais en 1922 un autre syndicat a été créé et s'est affilié à l'International Union of Mine, Mill and Smelter Workers. En 1926, ce syndicat a été dissous à son tour et ce n'est qu'en 1941, sur l'initiative de David Ignatius (« Nish ») Jackman, que les travailleurs se sont syndiqués de nouveau. Le nouveau syndicat a d'abord été créé pour lutter contre un projet de la compagnie visant à réduire ses opérations de 50 p. 100. En 1944, le syndicat s'est affilié à la Newfoundland Federation of Labour et, en 1948, au United Steel Workers of America. En 1951, Steve Neary, originaire de l'île Bell et futur membre de la Chambre d'assemblée de Terre-Neuve, a organisé l'affiliation syndicale des employés de bureau à l'Office Employees' International Union.

Les tendances démographiques à l'île Bell

À l'île Bell, les tendances démographiques étaient tributaires du succès des sociétés minières. En 1891, juste avant l'ouverture des mines, la population de l'île était de 701 habitants. En 1901, on en comptait 1320, mais à l'époque les chiffres de population étaient souvent imprécis. Parmi ces 1320 personnes, 199 étaient des travailleurs des mines même si les archives révèlent que l'industrie minière employait 1000 travailleurs. Cet écart est dû au fait que plusieurs mineurs vivaient dans d'autres parties de la baie de la Conception et faisaient des allers-retours pour aller travailler à l'île Bell. On a toutefois pu observer que la population a augmenté au cours des décennies suivantes, car un nombre de plus en plus élevé de mineurs choisissaient de s'établir sur l'île avec leur famille. En 1923, l'île Bell a détrôné Harbour Grace comme deuxième plus grand centre de Terre-Neuve et du Labrador. En 1935, la population s'élevait à 6157 habitants; en 1951 à 10 291, et en 1961 à 12 281.

Plusieurs hommes qui venaient travailler à l'île Bell, dont ceux qui faisaient la navette entre leur lieu de travail et les collectivités voisines, vivaient dans des baraquements appelés « cabanes de chantier ». On pouvait y héberger jusqu'à 300 hommes dont plusieurs dormaient sur une paillasse. C'était un logement peu confortable et pas très agréable. Il n'est pas étonnant que les travailleurs qui habitaient dans d'autres parties de baie de la Conception s'empressaient de quitter le site le samedi, ce qui les obligeait à redoubler d'ardeur le vendredi pour atteindre leur quota. Ceux qui habitaient l'île Bell étaient moins enclins à mettre les bouchées doubles au travail puisqu'ils n'étaient pas obligés de partir tôt lorsque se pointait la fin de la semaine. L'industrie minière a eu un impact sur presque tous les aspects de la vie quotidienne sur l'île Bell et, encore aujourd'hui, plusieurs années après la fermeture de la dernière mine, on appelle les différents quartiers de la ville de Wabana par les noms (ou plutôt les numéros) des mines qui s'y trouvaient autrefois.

Même s'il reste encore beaucoup de recherches à faire sur l'industrie minière de l'île Bell – et sur celle de Terre-Neuve-et-Labrador en général –, il est évident que, pendant sept décennies, l'ouverture, l'essor et la fermeture des mines de l'île Bell ont eu des effets profonds et durables sur la vie culturelle et sociale de l'endroit. De quelle manière cette industrie a-t-elle transformé les relations hommes-femmes et le quotidien partagé entre la « maison » et le « travail » ? A-t-on observé une plus grande division entre les habitants sur les plans économique et social ou les efforts communs sont-ils parvenus à renforcer leurs liens ? De quelle manière l'exploitation minière a-t-elle changé la relation de l'île Bell avec les autres régions de la baie de la Conception et avec Terre-Neuve ? Jusqu'à quel point les valeurs traditionnelles des gens ont-elles survécu ou ont-elles été affaiblies par l'implantation de l'industrie minière ? Ce ne sont là que quelques-unes des questions soulevées par cet important chapitre de l'histoire de la diversification industrielle à Terre-Neuve-et-Labrador.

English version

Vidéo: Mining in Pre-Confederation Newfoundland (en anglais seulement)