Travail et main-d'œuvre

Mentionnons tout d'abord que la plupart des comptes rendus relatifs au travail et à la main-d'œuvre sont incomplets, car la plupart des documents historiques, quelle que soit leur provenance, ne tiennent pas compte du travail effectué dans le cadre des échanges non marchands. Traditionnellement, la plupart du temps, ce sont les femmes qui faisaient ce genre de travail. Le texte suivant traite sommairement du travail non rémunéré, mais il met davantage l'accent sur le travail rémunéré en argent ou en échange de biens. Pendant la plus grande partie de l'histoire de Terre-Neuve-et-Labrador, ce type de travail était principalement associé à la pêche : d'abord à la pêche à la morue migratoire transatlantique, puis, à compter du début du 19e siècle, aux activités de pêche implantées à Terre-Neuve et au Labrador.

La pêche

Jusqu'à une époque relativement récente, la pêche à la morue à Terre-Neuve-et-Labrador était principalement l'affaire d'entreprises familiales. En principe, celles-ci pouvaient vendre leur poisson aux plus offrants, mais en pratique elles étaient assujetties au marchand qui prenait leur poisson en échange de ravitaillement à cause des dettes qu'elles avaient envers lui. Les pêcheurs étaient presque exclusivement des hommes, mais c'étaient leurs familles qui étaient responsables de dépecer les prises, de les saler et de les mettre à sécher. Les femmes assumaient une partie des tâches les plus lourdes. Les familles de pêcheurs assuraient aussi une grande part de leur subsistance grâce à la chasse et à la cueillette, au jardinage et à l'élevage du bétail. Les hommes construisaient les bateaux, les engins de pêche, les maisons et les dépendances en plus de veiller à leur entretien. Les femmes s'occupaient de la famille et des tâches ménagères, confectionnaient les étoffes et les vêtements en plus de voir à la production, à la préparation et à la conservation des aliments.

Séchage du poisson sur des vigneaux, s.d.
Séchage du poisson sur des vigneaux, s.d.
Les pêcheurs étaient presque exclusivement des hommes, mais c'étaient leurs familles qui étaient responsables de dépecer les prises, de les saler et de les mettre à sécher. Les femmes assumaient une partie des tâches les plus lourdes.
Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (coll. - 200, 1.01.067), Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

La pêche au phoque, de même que la pêche à la morue au Labrador, ont connu un grand essor au cours du 19e siècle. Il en a également été ainsi pour la pêche effectuée sur les Grands Bancs de la côte sud. Cette exploitation a procuré de l'emploi et des revenus aux pêcheurs qui travaillaient à bord des navires, mais aussi aux travailleurs sur la côte nord-est de l'île œuvrant dans la construction navale et les autres commerces liés à l'industrie maritime comme la fabrication de tonneaux et de cordages.

De tels métiers spécialisés se sont développés uniquement dans quelques centres plus importants, particulièrement dans la capitale, St. John's. C'est d'ailleurs dans ces milieux plus animés qu'ont été créés les tout premiers syndicats de corps de métiers. C'est aussi à St. John's qu'on pouvait trouver quelques emplois de bureau et de « cols blancs » au sein du gouvernement, du commerce de détail et du secteur des services. Un syndicat regroupant les vendeurs au détail, créé en 1868, a été le premier à accepter les femmes parmi ses membres.

Malgré des conditions de travail cruellement difficiles, les actions de protestation organisée étaient rares parmi ceux qui œuvraient dans l'industrie de la pêche. Néanmoins, à compter du début du 19e siècle, les pêcheurs, et tout spécialement les chasseurs de phoques, se regroupaient de temps à autre pour réclamer de meilleures conditions et une plus grande part des profits.

Au cours de la dernière partie du 19e siècle, les pêches ne fournissaient plus suffisamment de travail pour accueillir une main-d'œuvre de plus en plus nombreuse. Plusieurs jeunes hommes devaient quitter leur foyer pour trouver du travail à l'étranger. Pour à peine un peu plus que le gîte et le couvert, des jeunes femmes des régions rurales allaient souvent travailler comme domestiques pour d'autres familles de pêcheurs qui leur imposaient aussi des tâches liées à l'apprêtage du poisson.

Diversification de l'économie

Les efforts pour diversifier l'économie ont favorisé la création d'emplois salariés dans les mines, les chemins de fer, la foresterie et l'industrie des pâtes et papiers. Contrairement à l'industrie saisonnière de la pêche, sujette à l'incertitude, ces entreprises ont permis la multiplication d'emplois stables avec salaires fixes. Ce type d'emplois a contribué à améliorer l'état d'esprit général, le style de vie et les relations familiales. La plupart de ces nouveaux emplois étaient destinés aux hommes, mais plusieurs femmes ont quitté les villages isolés pour aller travailler comme domestiques dans les nouvelles collectivités industrielles ou encore à St. John's, un centre urbain en pleine croissance. Ces nouvelles industries ont entraîné la création de syndicats ouvriers dont certains étaient des succursales de syndicats implantés aux États-Unis.

Les Terre-Neuviens et les Labradoriens avaient toujours vaqué à différentes tâches au gré des saisons. Ces nouvelles industries fournissaient une autre source de travail temporaire à certains d'entre eux faute de pouvoir leur offrir un emploi stable. C'était pour eux une bonne occasion de gagner de l'argent comptant quand ils ne trouvaient pas de travail ailleurs. Cette situation était très avantageuse pour les employeurs, qui pouvaient ainsi compter sur la disponibilité d'une main-d'œuvre bon marché pour les emplois saisonniers au lieu d'embaucher des travailleurs pendant toute l'année. Cette façon de faire a connu beaucoup de succès, surtout dans l'industrie forestière.

Les nouvelles industries ne parvenaient toujours pas à créer suffisamment d'emplois pour cette population en pleine croissance. Les Terre-Neuviens et les Labradoriens, hommes et femmes, ont continué de quitter leur foyer pour occuper divers emplois sur le continent, principalement dans les « Boston States ». On a pu observer une curieuse conséquence de cet exode au tournant du 20e siècle alors que certains de ces hommes ont commencé à se faire valoir dans le domaine de la sidérurgie au cœur de grandes villes américaines en plein essor, en travaillant à la construction de ponts et de gratte-ciel. Dans des agglomérations urbaines telles que New York et Philadelphie, il leur était facile de rencontrer des femmes de « chez-eux » dont plusieurs travaillaient comme domestiques. Ensemble, ils ont fondé des familles qui continuent encore aujourd'hui à maintenir des liens avec leur province et l'industrie sidérurgique.

La Grande Dépression a particulièrement affligé Terre-Neuve-et-Labrador. Le chômage était extrêmement élevé, le prix du poisson était bas et les services sociaux étaient pratiquement inexistants. La Deuxième Guerre mondiale, notamment avec l'arrivée de l'armée américaine en 1941, a donné lieu à une nouvelle ère de prospérité grâce à la création de nouveaux emplois bien payés dans le domaine de la construction et de l'entretien des bases militaires et celui des métiers rattachés à l'effort de guerre.

Édifice des quartiers généraux, Fort Pepperrell, vers 1950
Édifice des quartiers généraux, Fort Pepperrell, vers 1950
Fort Pepperrell était une base importante pour l'armée de l'air américaine.
Avec la permission de la Division des archives et collections spéciales (coll. - 109, 3.01.10), Memorial University of Newfoundland, St. John's, T.-N.-L.

Une partie de cette prospérité a perduré pendant les années d'après-guerre, surtout après l'entrée de Terre-Neuve et du Labrador dans la Confédération canadienne en 1949, alors que le nouveau gouvernement provincial a entrepris de « moderniser » l'économie avec l'aide d'Ottawa. L'art de vivre et de travailler des Terre-Neuviens et des Labradoriens subissait de nouveau une transformation spectaculaire grâce à l'industrialisation du secteur de la pêche et à la construction rapide d'infrastructures (lignes électriques, écoles, hôpitaux et routes).

Cette modernisation a accéléré la création de nouveaux postes pour les professionnels, les cadres, les employés de bureau et autres « cols blancs » dans les secteurs public et privé. À l'aube du 21e siècle dans la province, la plupart des emplois relevaient de ces mêmes secteurs. Certains des syndicats les plus importants et les plus influents œuvraient dans ces domaines qui regroupaient notamment les fonctionnaires, les enseignants et les travailleurs de la santé.

Travail et emploi au cours des dernières années

Pendant la plus grande partie des cinquante premières années passées au sein de la Confédération canadienne, la province de Terre-Neuve-et-Labrador a été marquée par les revenus par habitant les plus faibles et les taux de chômage les plus élevés au pays. À la fin du 20e siècle, la situation était toujours la même. Les Terre-Neuviens et les Labradoriens devaient faire face aux incertitudes liées à la mondialisation et aux spécificités rattachées à leur situation géographique et à leur histoire particulières. Depuis l'effondrement des stocks de morue en 1992, la rareté des emplois salariés dans des centaines de villages isolés a poussé les jeunes gens à un exode sans précédent. Au même moment, le gouvernement provincial parlait positivement d'une économie dynamique fondée sur d'importants projets d'extraction des ressources naturelles et de nouvelles perspectives d'avenir dans des domaines tels que le tourisme et la technologie de l'information. Une seule chose semblait certaine : comme partout ailleurs dans le monde, les modes de travail et d'emploi continuaient de changer à Terre-Neuve-et-Labrador.

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