Le pétrole et l'environnement

S'il est une grande inquiétude à l'égard de l'industrie pétrolière extracôtière de Terre-Neuve-et-Labrador, c'est qu'elle cause de graves dommages à l'environnement océanique. La plupart des gisements visés par les prospections sont situés dans les Grands Bancs, un habitat vital pour une multitude de poissons, d'oiseaux de mer et de mammifères marins. Les scientifiques, les groupes écologistes et divers représentants du public disent craindre que, si l'industrie n'est pas encadrée par des règlements adéquats, ses activités de prospection, de forage et de transport nuisent à la santé globale de l'écosystème marin.

Les déversements de pétrole, le plus grave danger pour l'environnement, affectent la faune marine tant au large que le long des côtes. Des oiseaux plongeurs comme les petits pingouins et les canards de mer sont au nombre des espèces les plus vulnérables aux déversements. D'autres risques se présentent : les énormes plates-formes de forage des Grands Bancs produisent de dangereux gaz à effet de serre, empiètent sur l'habitat de la faune, modifient les modes migratoires de certains oiseaux marins et élèvent leur taux de mortalité. Les divers types de machines qui forent le fond marin pour atteindre les gisements pétroliers produisent des débris de roche imprégnés d'hydrocarbures et d'autres produits chimiques. La prospection pétrolière en haute mer pose aussi divers risques pour la vie marine; ainsi, les tirs sismiques sous-marins peuvent modifier le comportement des poissons et des mammifères marins et affecter leur physiologie.

Étapes de la production de pétrole en haute mer

L'exploitation pétrolière en haute mer comporte trois grandes étapes : l'exploration, la production et le transport par bateau, chacune présentant ses propres risques pour l'environnement. L'exploration suppose le recours à des levés sismiques pour localiser les gisements potentiels; ces levés sont effectués par des canons à air qui envoient vers le fond des trains d'ondes ensuite réverbérées jusqu'à la surface, la nature du son renvoyé révélant la présence éventuelle de pétrole dans le secteur.

Les canons à air produisent des explosions sismiques audibles par de nombreuses espèces de poissons qui fréquentent les Grands Bancs, notamment la morue et l'aiglefin, et susceptibles d'endommager leur ouïe et d'affecter leurs comportements, notamment le frai et la migration. Une étude scientifique menée sur le plateau continental hollandais durant les années 1990 a conclu que les tirs sismiques avaient réduit de manière notable les captures de morue et d'aiglefin au chalut et à la palangre dans les 18 milles nautiques entourant le secteur des tirs; les taux de capture ne sont revenus à la normale que cinq jours après la fin des tests. Les baleines, les phoques et divers autres mammifères marins sont également vulnérables au bruit produit par ces levés sismiques.

Une fois un gisement prometteur localisé, les forages d'exploration débutent, suivis de forages de production s'il y a suffisamment de pétrole. Le forage du fond marin produit des débris de roche imprégnés d'hydrocarbures et de produits chimiques. Les règlements qui gouvernent l'industrie autorisent les sociétés pétrolières à déverser dans l'océan les déblais de forage, pour autant que leur teneur en pétrole ne dépasse pas 15 p. 100 de leur poids total.

En plus de mélanger du pétrole et d'autres produits chimiques à l'eau de mer, les déblais de forage peuvent suffoquer les créatures benthiques ou perturber leur existence. Certains chercheurs craignent que l'habitude de rejeter ces déblais dans l'océan ait un effet plus pervers sur la vie marine, compte tenu des impacts cumulatifs des quatre champs pétroliers de la province, Hibernia, White Rose, Terra Nova et Hebron.

Des pétroliers-navettes transportent le pétrole brut à terre. Le plus gros de l'huile produite sur les Grands Bancs est entreposée au port de transbordement de Whiffen Head, dans la baie Placentia, jusqu'à ce que des superpétroliers viennent l'amener ailleurs pour être raffinée. Les déversements sont le principal risque écologique associé au transport du pétrole; ceci dit, de tels déversements peuvent bien sûr se produire à n'importe quelle étape du processus de production.

Déversements de pétrole

Les déversements sont le plus perceptible et peut-être le plus grave de tous les risques pour l'environnement liés à l'industrie pétrolière extracôtière. En effet, le pétrole peut fuir des plates-formes de forage, des pétroliers ou des navires de production, de stockage et de déchargement (NPSD) du pétrole en mer, ces bateaux gigantesques ancrés à proximité des plates-formes de forage qui transforment et entreposent le pétrole avant son transfert à terre. Ces déversements peuvent avoir diverses causes, y compris les pannes d'équipement, les erreurs humaines, la rupture de réservoirs et les accidents de pétroliers. Les conditions climatiques rudes et souvent imprévisibles de l'Atlantique Nord accroissent les risques d'accidents en mer ou de déversements pendant le transbordement du pétrole des NPSD aux pétroliers navettes.

L'industrie pétrolière extracôtière de Terre-Neuve-et-Labrador a connu son plus grave déversement le 21 novembre 2004, lorsque des bris mécaniques ont provoqué la fuite dans l'océan de 1000 barils (165 000 litres) de pétrole brut depuis le NPSD Terra Nova, exploité par Petro-Canada. Si les déversements de cette ampleur sont rares, des fuites de moindre gravité ont été relevées à trois des grands champs pétrolifères extracôtiers actifs de la province. Ainsi, Husky Oil a signalé un déversement de 30 barils (4470 litres) de brut par le NPSD White Rose le 9 septembre 2008, tandis que 300 litres de brut s'écoulaient de la plate-forme Hibernia le 29 janvier 2006.

Ces déversements de pétrole causent de graves dommages à l'écosystème marin. La plupart des types de pétrole, moins denses que l'eau, flottent à la surface de l'océan en un mince film, diffusé par le vent et les vagues sur une grande superficie, voire jusqu'à la côte. Les oiseaux marins sont les plus affectés par cette pollution, puisqu'ils passent le gros de leur temps à nager. Le pétrole pénètre rapidement leurs plumes, compromettant leur capacité de rester au chaud et secs et de flotter dans l'environnement brutal de l'Atlantique Nord. Les oiseaux ingèrent aussi du pétrole lorsqu'ils essaient de lisser leurs plumes ou avalent des proies engluées de pétrole.

Depuis des décennies, des oiseaux mazoutés s'échouent sur les plages de l'île. Les scientifiques estiment que 300 000 oiseaux marins sont tués chaque année par mazoutage au large de Terre-Neuve-et-Labrador. Pour l'essentiel, le mazout perdu ne provient pas des champs pétrolifères de la province, mais des énormes pétroliers et des autres navires qui empruntent les routes maritimes internationales au voisinage de l'île et des Grands Bancs; or, ces secteurs sont un habitat vital pour nombre d'espèces d'oiseaux marins vulnérables à la pollution par les hydrocarbures. En 1994, Environnement Canada a reconnu la côte sud de l'île de Terre-Neuve comme zone à risque extrême de mazoutage pour les oiseaux de mer.

Les poissons et les crustacés ont aussi à souffrir des déversements. Les œufs, les larves et les jeunes sont les plus affectés, notamment ceux d'espèces à valeur commerciale. En outre, la pollution par le pétrole peut saper l'industrie de la pêche en entachant la réputation des produits de la mer locaux sur le marché international.

Plates-formes de forage

Les infrastructures de l'industrie pétrolière posent aussi des risques pour l'habitat marin. Les énormes plates-formes des Grands Bancs attirent les oiseaux de mer et perturbent leurs comportements habituels. Elles déchargent dans l'océan des déchets humains que consomment certains oiseaux de mer et leurs proies. Elles servent aussi de perchoirs aux oiseaux, tandis que leurs feux et leurs torches éblouissent de nombreux oiseaux nocturnes ou consommateurs de plancton comme les océanites, les mergules nains et les puffins (shearwaters, en anglais).

La plus grande colonie au monde d'océanites cul-blanc se reproduit au nord-est de la péninsule d'Avalon et son aire d'alimentation atteint la plate-forme Hibernia. Or, il n'est pas inhabituel que ces oiseaux volent directement dans les feux ou les torches pour être blessés ou tués par l'impact ou les flammes. On voit aussi certaines variétés d'oiseaux de mer voler en cercles autour des plates-formes pendant des jours pour finir par mourir de faim. Les chercheurs ont suggéré que les compagnies pétrolières pouvaient réduire cette mortalité en programmant les activités d'entretien régulières, qui exigent l'extinction des torches, pour la haute saison de migration des oiseaux.

En produisant et en brûlant des combustibles fossiles, les plates-formes de forage émettent aussi des gaz à effet de serre (CO2, méthane et oxyde nitreux) qui contribuent au réchauffement de la planète. En 2008, la province a produit quelque 10 102 kilotonnes de gaz à effet de serre, dont 24 p. 100 dérivaient de ses industries pétrolière et minière. La production et le raffinage des combustibles fossiles en avaient produit 1594 kilotonnes, et l'extraction du pétrole, du gaz naturel et de minéraux comme le fer, 852 kilotonnes additionnelles.

Bien que les projets d'exploitation du pétrole au large de Terre-Neuve-et-Labrador contribuent à l'économie, ils comportent des risques de dommages considérables, voire irréparables, à l'environnement. Il est donc crucial que les responsables des gouvernements et de l'industrie surveillent de près les activités de production, de raffinage, de stockage et de transport du mazout, afin de limiter leurs incidences sur l'environnement au minimum.

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