Les pêcheries de l'après-moratoire

Après le moratoire de 1992 sur la pêche de la morue, l'industrie de Terre Neuve et Labrador est passée de l'exploitation du poisson de fond à celle des crustacés et des mollusques. La crevette et le crabe des neiges sont devenus les espèces les plus exploitées, remplaçant la morue comme moteur économique de la pêche. Les profits ont augmenté rapidement : dès 2002 (à peine dix ans après le moratoire), les prises de produits de la mer rapportaient à la province près du double des recettes de 1990, du temps où la morue dominait encore l'industrie. L'aquaculture a aussi gagné en importance; axée sur l'élevage du saumon de l'Atlantique, de la truite arc-en-ciel et de la moule bleue, elle a rapporté 92 millions de dollars en 2009. Ce secteur explore également les moyens de commercialiser l'élevage de la morue.

Même si la valeur économique des débarquements a augmenté depuis le moratoire, le volume total récolté a diminué de quelque 40 p. 100 dans les deux dernières décennies. Pour cette raison, les usines de transformation et les bateaux de pêche emploient moins de gens. Tandis qu'elle regroupait 37 665 travailleurs saisonniers en 1989, l'industrie de la pêche n'en employait plus que 21 140 en 2010.

Plusieurs problèmes nuisent au développement et à la rentabilité de l'industrie. Ces dernières années, la hausse du prix du carburant et le cours élevé du dollar canadien, associés aux tarifs douaniers imposés par certains pays aux importations de crevettes et d'autres produits de la mer, ont affecté les profits de l'industrie. Il y a aussi un problème de surproductivité : la pêche utilise plus de bateaux, d'usines de transformation, de travailleurs et de ressources connexes que nécessaire. La surproductivité augmente les dépenses et encourage l'épuisement des ressources et la faiblesse des rémunérations. Dans ce contexte, on comprend que l'industrie ait du mal à attirer les jeunes.

Du poisson de fond aux mollusques et crustacés

Avant le moratoire de 1992, la morue constituait le gros des prises annuelles de produits de la mer à Terre Neuve et Labrador, rapportant davantage sur le marché de l'exportation que toute autre espèce aquatique. Ainsi, en 1990, la valeur totale des produits de la mer au débarquement a été de 277 millions de dollars pour la province, la morue y représentant 134 millions de dollars, soit 48 p. 100. La deuxième espèce en importance était la crevette, avec 46 millions de dollars de valeur débarquée. Le crabe des neiges ne rapportait cette année-là que 13 millions de dollars.

La situation s'est inversée après le moratoire de 1992, l'industrie et le gouvernement stimulant la pêche des crustacés et des mollusques pour créer des emplois et des recettes d'exportation. Les débarquements de poissons de fond ont vu une chute dramatique, tandis que le crabe des neiges et la crevette gagnaient en importance. Ce changement s'est révélé rentable, compte tenu de la valeur élevée des crustacés sur les marchés internationaux. En 2002, on a débarqué pour 229 millions de dollars de crabe et 172 millions de dollars de crevettes, alors que les prises de poissons de fond (surtout de morues, de turbots et de plies) ont rapporté ensemble 62 millions de dollars, à peu près le sixième des recettes des crustacés. Cette même année, la valeur totale au débarquement, toutes espèces confondues, a atteint 517 millions de dollars, soit près du double de ce qu'avait rapporté l'industrie de la pêche deux ans avant le moratoire.

Le gouvernement fédéral a abaissé les contingents pour le crabe entre 2003 et 2005, de crainte que les stocks ne soient surexploités. Le crabe des neiges n'en a pas moins continué de dominer l'industrie, avec la crevette. En 2009, le ministère provincial des Pêches et de l'Aquaculture a rapporté des débarquements évalués à 420 millions de dollars au total, dont 63 p. 100 étaient attribuables au crabe (165 millions de dollars) et à la crevette (109 millions). Au nombre des autres crustacés et mollusques pêchés dans les eaux de la province, il faut mentionner le homard, la mye, le buccin et le pétoncle.

La pêche de fond est la deuxième pêche de capture en importance à Terre Neuve et Labrador, suivie par la pêche pélagique et la chasse au phoque. Ce qu'on appelle « pêche de capture » vise les poissons sauvages et autres créatures marines, à l'exclusion des espèces d'élevage. La pêche du poisson de fond, qui exploite les espèces vivant sur le fond marin ou à proximité (comme la morue) et la pêche pélagique, qui vise des espèces vivant en eau libre, loin des côtes et du fond marin (comme le maquereau et le hareng), sont deux types de pêche de capture.

Bien que le moratoire ait signé en 1992 la fin de la pêche de la morue du nord, celle-ci a été rouverte dès la deuxième moitié des années 1990, mais à une échelle fortement réduite. En mai 1997, le gouvernement fédéral a autorisé la première de ces pêches commerciales restreintes au large des côtes sud et ouest de Terre-Neuve, en fixant des contingents de 10 000 tonnes dans la division 3Ps et de 6 000 tonnes dans la division 4RS3Pn. Depuis lors, la morue et le flétan noir (ou flétan du Groenland) se sont révélés les espèces de poissons de fond les plus rentables. Parmi les autres espèces d'importance, mentionnons la limande à queue jaune, le sébaste et la merluche. En 2009, la pêche du poisson de fond a rapporté au débarquement 48 millions de dollars, la morue y contribuant pour 15,2 millions et le turbot pour 20,2 millions.

Les profits de la pêche pélagique et de la chasse au phoque sont généralement moindres que ceux de la pêche de fond. Elles ont déclaré ensemble des débarquements de 21 millions de dollars pour 2009, alors qu'ils étaient de 28 millions en 2007. Le capelan, le maquereau et le hareng sont les principaux poissons pélagiques tirés des eaux de Terre Neuve et Labrador. Quant à la chasse au phoque, elle a connu des débarquements record de 30,2 millions de dollars en 2006; toutefois, victime d'une campagne internationale anti-chasse et de conditions de glace défavorables, la valeur de ses produits a dégringolé à 11,4 millions de dollars en 2007, puis à 829 000 $ en 2009.

Secteurs de la transformation et de l'aquaculture

Avant le moratoire de 1992, les usines de Terre Neuve et Labrador faisaient la transformation de la morue et d'autres poissons de fond pour les exporter sur le marché nord-américain. Après 1992, nombre d'usines se sont mises à transformer le crabe, les crevettes et d'autres crustacés et mollusques. Les États-Unis sont demeurés un marché de taille, tandis que l'Asie (en particulier la Chine et le Japon) et l'Europe prenaient de l'importance. En 2009, on comptait dans la province 118 usines de transformation qui donnaient des emplois saisonniers à 10 705 travailleurs. Les espèces pélagiques dominaient l'industrie (44 p. 100 de la production totale), suivies par les crustacés et les mollusques (35 p. 100) et par les poissons de fond (15 p. 100).

Le secteur de l'aquaculture a gagné en importance depuis le moratoire. Les principales espèces élevées à Terre Neuve et Labrador sont le saumon de l'Atlantique, la truite arc-en-ciel et la moule bleue. La production du saumon et de la truite est concentrée dans les baies d'Espoir et de Fortune, sur la côte sud de Terre-Neuve, alors que les moules sont élevées essentiellement dans la baie Notre Dame. D'autres sites d'aquaculture sont exploités ici-et-là dans la province.

En 2006, quelque 370 personnes travaillaient en aquaculture; ce nombre est passé à 655 en 2008 et en 2009. L'industrie a produit 13 625 tonnes de poisson en 2009, un record, pour des exportations évaluées à 92 millions de dollars, une hausse notable par rapport aux 63 millions de dollars de 2008. L'aquaculture de la morue fait aussi l'objet d'études sérieuses.

Problèmes de l'industrie

Bien que l'industrie de la pêche ait gagné en valeur depuis 1992, quelques graves problèmes subsistent. La surproductivité des secteurs de la récolte et de la transformation est assez préoccupante : depuis des années, la pêche utilise plus de bateaux, d'usines de transformation, de travailleurs et de ressources connexes que nécessaire. La surproductivité augmente les dépenses et accroît le risque d'épuisement des ressources marines.

Deux autres problèmes affectent la pêche, soit la faiblesse des salaires et la nature saisonnière du travail. Bien que l'industrie ait fourni de l'emploi à quelque 23 500 travailleurs en 2008, nombre d'entre eux n'ont pas travaillé toute l'année et seulement 12 000 pêcheurs et travailleurs d'usine étaient employés à un moment quelconque de l'année. La nature saisonnière du travail contraint nombre de pêcheurs à compléter leurs revenus avec l'assurance-emploi (AE). En 2001, les pêcheurs ont déclaré un revenu moyen de 25 400 $, et les travailleurs d'usine, de 19 701 $. Ces deux montants, qui incluent autour de 10 000 $ en prestations d'AE, étaient nettement inférieurs au revenu annuel provincial moyen d'environ 32 000 $. La faiblesse de ces revenus et la précarité des emplois n'ont rien pour séduire la nouvelle génération, ce qui risque d'aggraver le problème de la relève lorsque les travailleurs actuels atteindront l'âge de la retraite.

Des problèmes extérieurs ont aussi nui à l'industrie. Ainsi, l'escalade des coûts du carburant a ajouté aux frais d'exploitation et réduit les profits; la concurrence de la Chine et d'autres pays pêcheurs a aussi réduit les recettes. La fluctuation du cours des monnaies de la planète affecte aussi la valeur du poisson de Terre Neuve et Labrador sur le marché international. Lorsque la valeur du dollar canadien augmente, nos exportations peuvent devenir plus dispendieuses et nos ventes diminuer. C'est ce qui est arrivé en 2008, quand le coût élevé du dollar canadien et la faiblesse de la livre britannique ont nui à nos exportations à destination du Royaume-Uni.

De plus, certains des plus grands consommateurs des produits de la mer de notre province leur imposent des tarifs douaniers à leur frontière. Ces dernières années, la Chine et la Russie ont toutes deux imposé des tarifs sur leurs importations de produits de la mer. En 2009, l'Union européenne a interdit l'importation des produits du phoque dans ses 27 pays membres.

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