La Railway Settlement Act et le gouvernement de Terre-Neuve (1920-1949)

Après la suspension en 1915 des travaux de construction de lignes secondaires, la Reid Newfoundland Company vacille sous les pertes d'exploitation. Après la guerre, le ralentissement économique qui sévit dans la colonie et la nécessité d'une mise à niveau de la voie ferrée après des années de négligence déclenchent une crise en 1920. Les pertes s'élèvent à 1 million de dollars. H. D. Reid avertit le gouvernement que la compagnie n'est plus en mesure de poursuivre ses activités ferroviaires.

Le gouvernement et l'entreprise forment donc une commission ayant pour mandat la gestion de la voie ferrée pendant un an à partir du 1er juillet 1920. Le budget de 1,5 $ million qu'elle obtient sera consacré à la restauration et à l'amélioration des voies. Ce montant apparaît rapidement insuffisant. En raison de son expérience au Canadien Pacifique, sir George Bury est choisi pour mener une enquête sur la situation. Il recommande que le gouvernement couvre les pertes d'exploitation annuelles qui ne dépassent pas 1,5 $ million et la Reid Newfoundland Company, les pertes excédentaires. En 1921 et 1922, une forte réduction des dépenses en capital s'accompagne de compressions salariales substantielles et d'une diminution appréciable des horaires de train. Les lignes secondaires de Bonavista, Trepassey et Bay de Verde sont fermés cet hiver-là. Le principal tronçon ferroviaire est coupé en deux lorsque la voie ferrée du plateau Gaff Topsail reste inactive.

En avril 1922, la famille Reid informe le gouvernement que, selon elle, cette situation est inadmissible, et ce, même avec les mesures de mitigation et le partage des risques. Ainsi, du 16 au 23 mai, les trains cessent de rouler. Le gouvernement consent alors à lui fournir du capital d'exploitation jusqu'en juillet 1923, date fixée pour la prise de possession du chemin de fer par le gouvernement en vertu de la Railway Settlement Act (Loi sur l'accord de vente du chemin de fer).

La loi stipule l'achat du chemin de fer, de la cale sèche et des services de vapeurs-côtiers de la Newfoundland Reid Company pour la somme de 2 $ millions en compensation des investissements, soit les améliorations et l'expansion, effectuées au fil des ans. Pour sa part, cette société est contrainte à ne pas respecter les engagements de son contrat d'exploitation, selon lequel les terres appartenant à la famille Reid reviennent à la Couronne. Cela s'explique par le rôle que joue la famille Reid et ses terres dans la mise en œuvre de l'entente Humber qui aboutit à l'ouverture d'une usine de pâtes et papiers à Corner Brook en 1925. La séquence des événements acquiert ici toute son importance dans la conclusion de l'entente. D'abord, l'annonce de la construction de l'usine au printemps 1923, ensuite une élection, puis l'adoption de la Railway Settlement Act.

L'usine de pâtes et papiers de Corner Brook, 1948
L'usine de pâtes et papiers de Corner Brook, 1948
L'ouverture d'une usine de pâtes et papiers à Corner Brook découle de l'entente Humber.
Tiré de Corner Brook, Newfoundland, 1923-1948: 25 Years of Progress, Bay of Islands Businessmen's Association, Western Publishing Co., Corner Brook, 1948, quatrième de couverture.

La gestion du chemin de fer

À partir de 1923, la gestion du Newfoundland Government Railway (rebaptisée Newfoundland Railway en 1926) relève d'un conseil des commissaires. Herbert J. Russell (1890-1949) est responsable, quant à lui, de la gestion courante. Il a amorcé sa vie professionnelle dans la société de chemin de fer Reid et occupé le poste de surintendant de la Division est, de 1917 à 1923. Son adjoint, James V. Ryan (1894-1974), travaille également pour la famille Reid depuis l'âge de 16 ans.

Herbert J. Russell (1890-1949), n.d.
Herbert J. Russell (1890-1949), s.d.
Herbert Russell devient directeur général du Newfoundland Government Railway en 1923.
Tiré de Who's Who in and from Newfoundland 1930, de Richard Hibbs, R. Hibbs, 2e éd., St. John's, T.-N.-L., 1930, p. 184.

La nouvelle administration doit gérer un peu plus de 1600 kilomètres de voies ferrées. Plusieurs lignes secondaires ne sont nullement rentables et le tronçon principal exige le remplacement des rails. En 1930, elle parvient à maîtriser la gestion du déficit grâce à des mesures d'austérité radicales. Elle peut donc commander de nouvelles locomotives. La Crise économique frappe durement et amène dans son sillage de nouvelles compressions salariales, des mises à pied, la réduction des horaires de train et la fermeture de lignes secondaires. Après des années d'un patient labeur visant à abaisser le déficit d'exploitation, il explose et atteint 3 $ millions en 1932.

La prospérité en temps de guerre

La situation du Newfoundland Railway commence à embellir en 1936. La construction d'une base aérienne à Gander repose effectivement entièrement sur le chemin de fer. Cette conjoncture préfigure l'importance que prend le réseau ferroviaire avant la guerre.

Déchargement de pierre concassée, s.d.
Déchargement de pierre concassée, s.d.
Déchargement de pierre concassée à la base aérienne de Gander, s.d.
Tiré de la collection d'A.R. Penney. Avec la permission de la maison d'édition Harry Cuff Publications.

Après 1941, la construction de bases militaires à St. John's, Argentia et Stephenville prépare l'arrivée massive de troupes et d'équipement militaire par train. Le trafic passagers connaît également une croissance considérable. Les Américains fournissent à Terre-Neuve des locomotives, des wagons, du matériel et des rails en vertu d'un programme de prêt-bail. Terre-Neuve et son chemin de fer constituent en effet une composante essentielle de l'effort de guerre dans l'Atlantique Nord. L'armée américaine modernise également la voie ferrée et le terminal ferroviaire d'Argentia, en plus de construire une nouvelle ligne secondaire vers Harmon Field (Stephenville). Il est paradoxal cependant que le chemin de fer de Terre-Neuve, en pleine heure de gloire, soit affublé par les Américains d'un sobriquet qui perdurera : « Le Newfy Bullet ».

Les syndicats et le chemin de fer

Vers la fin des années 1930, le mouvement syndical prend racine dans les rangs des employés du Newfoundland Railway. Cette syndicalisation fera écho dans le reste du pays. Pendant la Première Guerre mondiale, bon nombre de cheminots ont été membres d'un syndicat interprofessionnel, le Newfoundland Industrial Workers Association (N.I.W.A.), lors de sa brève existence. En 1927, J. V. Ryan fonde une association d'assistance mutuelle, la Railway Employees' Welfare Association (R.E.W.A.). En 1934, cette dernière entreprend la réalisation d'un ambitieux programme de construction domiciliaire (Own Your Own Home) à St. John's et Bishop's Falls destinés aux cheminots. Elle fait bâtir jusqu'à 2500 habitations.

Les membres du conseil d'administration, Caisse de prestations de maladie, de la Railway Employee's Welfare Association (R.E.W.A.), vers 1931
Les membres du conseil d'administration, Caisse de prestations de maladie, de la Railway Employee's Welfare Association (R.E.W.A.), vers 1931
Tiré de la collection d'A.R. Penney. Avec la permission de la maison d'édition Harry Cuff Publications.

Au début des années 1930, les machinistes et wagonniers sont affiliés à des syndicats internationaux. Les baisses salariales draconiennes subies pendant la Crise économique fouettent le syndicalisme. C'est un commis de St. John's, Walter Sparkes, qui enclenche le mouvement en mettant sur pied la section locale du Brotherhood of Railway Clerks (B.R.C) (syndicat des commis de chemin de fer). Ses collègues et lui deviennent la cheville ouvrière de la formation de syndicats à St. John's, ainsi que de la fondation de la Newfoundland Federation of Labour (fédération des travailleurs de Terre-Neuve) en 1937. Au Canada, les organisateurs syndicaux constatent avec étonnement le taux très élevé de syndicalisation à Terre-Neuve à son entrée dans la Confédération. C'est la preuve d'un engagement marqué des cheminots envers leurs syndicats et le syndicalisme. Une grève déclenchée en octobre 1948 par neuf syndicats internationaux immobilise les trains pendant cinq semaines. C'est la première grève générale depuis celle qui a paralysé la Newfoundland Reid Company en 1918 à l'appel du syndicat interprofessionnel, le Newfoundland Industrial Workers Association (N.I.W.A.).

À la fin de la guerre, le réseau ferroviaire a besoin d'une urgente mise à niveau et d'un entretien poussé en raison d'une surexploitation de sa capacité. De 1936 à 1946, le chemin de fer parvient à maintenir un excédent d'exploitation mais nécessite des travaux importants.

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