Compte rendu sommaire

L'histoire du chemin de fer à Terre-Neuve peut être divisée en cinq périodes : celle de sa construction, celle de l'exploitation par la famille Reid (1898-1923), puis par le gouvernement de Terre-Neuve (1923-1949), par le Canadien National (1949-1978) et par TerraTransport (1978-1988).

Construction

Le premier chemin de fer en Amérique du Nord est entré en opération en 1828, et la première ligne secondaire au Canada en 1836. Une deuxième phase d'expansion ferroviaire a suivi la guerre de Sécession aux États-Unis (1861-1864) et la Confédération au Canada (1867). C'est à cette époque, celle où les grands réseaux transcontinentaux étaient aménagés pour stimuler le progrès et affirmer les nations, qu'a été proposé le développement ferroviaire de Terre-Neuve.

Sanford Fleming, un ingénieur canadien, a entrepris des démarches auprès du gouvernement de Terre-Neuve, et commandité en 1868 un levé ferroviaire préliminaire dans le sud de l'île. En 1875, le gouvernement lui-même a demandé la préparation du levé d'une ligne directe à travers le centre de l'île, mais ce n'est qu'avec l'élection du premier ministre William V. Whiteway en 1878 qu'il a été décidé d'aller de l'avant.

En 1880, un comité de la législature recommandait l'aménagement d'un chemin de fer à voie étroite entre St. John's et Halls Bay, une distance de 340 milles. Ce marché serait accordé à la Newfoundland Railway Company, un groupe d'investisseurs dirigé par l'avocat new-yorkais A. L. Blackman. En trois ans à partir d'août 1891, la compagnie allait poser 57 milles de rails jusqu'à Whitbourne, avant d'être mise sous séquestre. Ses créanciers ont tout de même poursuivi les travaux, complétant en octobre 1884 un embranchement de 27 milles jusqu'à Harbour Grace. Un deuxième embranchement, jusqu'à Placentia, a ensuite été construit à titre d'ouvrage public entre 1886 et 1888. Subséquemment, un nouveau gouvernement dirigé par William Whiteway s'est mis à la recherche d'un entrepreneur privé pour compléter la ligne à travers l'île.

Dix actions de la Newfoundland Railway Company, 1881
Dix actions de la Newfoundland Railway Company, 1881
De 1881 à 1884 la compagnie à posé 57 milles de rails de St. John's jusqu'à Whitbourne avant d'être mise sous séquestre.
Reproduit avec la permission de Kurt Korneski. © 2016.

En juin 1890, un entrepreneur canado-écossais, Robert G. Reid (en partenariat dans un premier plan avec George Middleton) a accepté de construire et d'équiper le chemin de fer jusqu'à Halls Bay au coût de 15 600 $ le mille. Sous la direction de Reid, les travaux ont progressé rapidement. À la fin de 1892, la voie terrassée atteignait la rivière des Exploits, essentiellement à mi-chemin; le gouvernement proposa son prolongement jusqu'à Port aux Basques, en réorientant son tracé de Halls Bay à Grand Lake, à travers la chaîne des Topsail. En mai 1893, Reid accepta l'ajout des 285 milles additionnels, assorti d'un marché d'exploitation de 10 ans pour ce qui était désormais le Newfoundland Northern and Western Railway; en retour, il a obtenu 5 000 acres de terres par mille exploité.

Exploitation par Reid

Les travaux ont progressé à rythme soutenu entre 1894 et 1897 dans les territoires intérieurs du centre et de l'ouest de l'île. Les 29 et 30 juin 1898, la première liaison régulière pour passagers était complétée entre St. John's et Port aux Basques, terminus de correspondance avec le Bruce, le nouveau traversier à vapeur des Reid sur le golfe. Plus tôt la même année, en prévision de la fin des travaux, le nouveau gouvernement conservateur de James S. Winter avait confié à la famille Reid la prise de contrôle de la ligne de Harbour Grace et le fusionnement des opérations ferroviaires, ainsi que l'exploitation prolongée de tout le réseau. Le texte de ce marché, connu sous le nom de Railway Contract of ‘98, conciliait de façon assez extraordinaire les perspectives d'avenir de Terre-Neuve avec les ambitions de William et Harry Reid, les fils de R. G. Reid.

Quai de Port aux Basques, début des années 1900
Quai de Port aux Basques, début des années 1900
Le bateau qui y est amarré est probablement le Bruce.

Tiré de la collection A. R. Penney. Avec la permission de Harry Cuff Publications.

Les Reid avaient convenu d'assumer l'exploitation continue de la ligne pendant 50 ans, en retour de l'octroi de tous les droits de propriété au terme du marché, et d'autres concessions de terres dans l'île. Ils avaient aussi accepté d'acheter du gouvernement la cale sèche et le système de télégraphe, ainsi que de fournir et d'exploiter huit caboteurs à vapeur en échange de subventions annuelles. Ce contrat n'a pas tardé à trouver des opposants au gouvernement et, en 1901, une nouvelle administration dirigée par Robert Bond allait contraindre les Reid à accepter une modification en retour de l'attribution du marché à la responsabilité limitée de la Reid Newfoundland Company.

Durant les 22 années suivantes, la compagnie a occupé une place extraordinaire dans l'économie de Terre-Neuve. Les Reid et leurs terres ont été des éléments essentiels du développement des forêts pour les scieries et les papeteries. Mais le rythme de ces progrès n'est pas parvenu à combler les déficits d'exploitation annuels du réseau de chemin de fer et les Reid ont eu un différend avec l'intransigeance des Libéraux de Bond. Des offres de vente pure et simple de la ligne ont été rejetées et R. G. Reid, à son décès en 1908, a recommandé à ses héritiers de liquider leurs intérêts à Terre-Neuve.

Toutefois, c'est justement en 1908 que les frères Reid allaient s'engager dans la fondation d'un nouveau parti politique, le People's Party, de Sir Edward P. Morris. Élue à la majorité des voix grâce au soutien financier des Reid, l'administration Morris a lancé un nouveau marché pour l'aménagement d'un réseau de lignes secondaires. Populaires d'un point de vue politique, ces lignes se sont révélées déficitaires dès le départ, ajoutant au système 375 milles de voies peu fréquentées. La suspension des travaux durant la Première Guerre mondiale, suivie d'une période de ralentissement économique, a eu pour effet de remettre sur le tapis avec une urgence accrue toute la question du chemin de fer à Terre-Neuve.

Exploitation par le gouvernement

En 1920, Harry Reid informe le gouvernement que la compagnie doit cesser ses opérations. Les deux années suivantes, le chemin de fer sera exploité par une commission mixte de Reid et du gouvernement mais, au printemps 1922, Reid tentera de forcer le gouvernement à en assumer l'entier contrôle, notamment en interrompant le service pendant une semaine en mai. Au même moment, les terres des Reid étaient à la clé d'un grand projet forestier, le Humber Deal, sur l'aménagement d'une usine de pâtes et papiers à Corner Brook, sur la rivière Humber. En adoptant la Railway Settlement Act en 1923, le gouvernement allait résilier le contrat d'exploitation de Reid, pour faire adopter peu après une loi autorisant le nouveau contrat de la papeterie.

Rebaptisée alors Newfoundland Government Railway, la ligne sera exploitée de 1926 à 1949 sous le nom de Newfoundland Railway. Ses activités étaient gérées par le directeur général Herbert J. Russell, dont le programme de rénovations graduelles allait être rapidement entravé par la Crise de 1929. Trois embranchements du réseau sont fermés en 1931, tandis que toutes ses dépenses sont sévèrement contrôlées sous l'administration de la Commission de gouvernement (après 1934).

Cependant, à compter de 1936, avec la construction d'une base aérienne à Gander face à une guerre imminente, le Newfoundland Railway est devenu un service stratégique vital. Durant la Deuxième Guerre mondiale, la ligne a prouvé sa valeur, assurant les liaisons entre les nouvelles bases militaires aménagées à Argentia, St. John's et Gander.

À la fin des hostilités, le matériel et le personnel du chemin de fer étaient en piètre état. Tandis qu'on discutait de la destinée politique de Terre-Neuve, le chemin de fer et son avenir faisaient aussi partie du débat, les promoteurs de l'union avec le Canada ne manquant pas de signaler que son intégration au Canadien National apporterait une solution à ses problèmes chroniques, pour autant que soit reconnu son statut de service public indispensable, mais structurellement déficitaire.

Exploitation par le Canadien National

En 1949, en vertu des Conditions de l'Union, le réseau ferroviaire et tous les services de connexion côtiers et maritimes étaient pris en charge par le Canadien National, si bien qu'un certain niveau de service paraissait assuré. Du premier coup, le CN a appliqué un vaste plan de réfection des infrastructures, haussé les échelles salariales et rapidement accru le tonnage de marchandises transportées. Un programme de diésélification complète du matériel moteur a été appliqué entre 1955 et 1959, suivi par le remplacement d'une partie substantielle des rails du réseau et par l'instauration d'un nouveau service de traversier dans le Golfe.

Train de marchandises, près de l'embouchure de la rivière Humber, s.d.
Train de marchandises, près de l'embouchure de la rivière Humber, s.d.
La prise en charge du chemin de fer par le Canadien National, en 1949, a amené une rapide augmentation du tonnage des marchandises transportées.

Tiré de la collection A. R. Penney. Avec la permission de Harry Cuff Publications.

Toutefois, cette période de boom des transports dans la nouvelle province a été concurrencée par la faveur croissante que connaissait le transport routier. Dès 1965, la route transcanadienne permet de traverser toute l'île, et le Canadien National va remplacer les trains de passagers par un service d'autocars en 1968. Vers le milieu des années 1970, le Canadien National commence à transférer vers le réseau routier le transport de marchandises partout au pays, et l'insécurité grandit chez les employés et dans le grand public. Une commission fédérale-provinciale était chargée en 1977 d'examiner l'ensemble du réseau de transport terre-neuvien. Dans son rapport déposé en 1978, la Commission Sullivan recommandait, au milieu d'un concert de protestations, l'abandon dans les dix ans du système ferroviaire provincial.

Si les contestations allaient entraîner la création de la Newfoundland Transportation Division (TerraTransport), une filiale du Canadien National, le résultat serait le même. Le service sur les lignes secondaires restantes a cessé en 1984; puis, en 1988, les deux paliers de gouvernement ont convenu de la fermeture définitive du chemin de fer en échange d'une subvention de 800 millions de dollars pour l'amélioration du réseau routier. Le dernier train terre-neuvien a roulé en juin 1988, et les derniers rails de la ligne principale ont été récupérés en novembre 1990.

English version