Les Inuit

Les Inuit de la côte nord du Labrador sont les descendants directs d'un peuple de chasseurs préhistoriques qui avait occupé tout le territoire canadien depuis l'Alaska. Appelé Thulé par les archéologues, ce peuple subsistait de chasse des énormes baleines boréales, mais il s'est vite adapté à l'alternance de conditions arctiques et subarctiques qui règnent au Labrador. Baleines, phoques, poissons et caribous y étaient abondants, et les régions côtières étaient couvertes de vastes forêts : le bois, introuvable dans les vastes étendues arctiques, était nécessaire pour fabriquer les outils, les membrures d'embarcations et toutes sortes d'autres articles, en plus de servir de combustible.

Les gens de Thulé se sont dispersés vers le sud le long du littoral du Labrador, peut-être au gré des migrations des baleines et des phoques, jusqu'au détroit de Belle-Isle. C'est là qu'a eu lieu leur premier contact avec les Européens, des Basques espagnols en quête de nouveaux territoires de chasse de la baleine. Vers le milieu du XVIe siècle, les Basques avaient établi au sud du Labrador des postes d'extraction de l'huile de baleine, qu'ils exportaient sur le marché européen, mais ils ne les fréquentaient qu'entre l'été et la fin de l'automne, avant l'arrivée des glaces. Sans langue ni culture en commun, Basques et Inuit se sont probablement tenus à l'écart les uns des autres, ce qui n'aura pas empêché les Inuit de se rendre dans les postes basques en hiver pour y récupérer les outils de fer, les engins de pêche et les autres objets laissés derrière par les Blancs.

Pour les Inuit, le fer était précieux : il était en effet plus durable que la pierre, l'os et l'ivoire avec lesquels ils avaient coutume de fabriquer leurs armes et leurs outils. Les objets en fer se sont répandus le long de la côte, en direction nord jusqu'à la pointe de la péninsule du Labrador, grâce à un réseau d'échange entre peuplades Inuit occupant des territoires distincts. Une peuplade, ou bande, était constituée de familles étroitement apparentées exploitant ensemble un territoire de chasse donné, ordinairement la rive d'une grande baie ou d'un fjord. Les membres de ces peuplades se désignaient du nom d'un lieu dominant de leur territoire, auquel ils ajoutaient le suffixe miut (qui signifie le peuple de).

Vers les années 1620, les Basques abandonnent leurs campagnes de chasse de la baleine; ils sont remplacés par les chasseurs de phoques et les pêcheurs français, qui vont établir d'autres postes le long du détroit de Belle-Isle aux XVIIe et XVIIIe siècles. Les Français des postes vivaient dans la crainte des Inuit, de sorte que les contacts entre les deux peuples étaient rares. Or, les Inuit avaient de plus en plus besoin du fer et des autres produits manufacturés européens; par conséquent, ils ont commencé à attaquer les postes isolés pour s'approprier les produits convoités, et les Français à lancer des attaques en représailles. Durant cette période, les Inuit en quête de produits européens à revendre dans les régions plus au nord trouvaient refuge dans un village d'hiver tout près de la localité actuelle de Rigolet.

Après le transfert du Labrador aux Anglais en 1763, les rapports des Inuit avec les pêcheurs britanniques et les baleiniers de la Nouvelle-Angleterre étaient aussi caractérisés par une hostilité mutuelle. Or, les missionnaires de l'église moravienne, un culte protestant originaire d'Allemagne, avaient assuré qu'ils étaient en mesure de pacifier les Inuit en les convertissant et en leur fournissant des produits européens à des postes de traite intégrés à des missions en territoire Inuit. Le gouvernement britannique ne pouvait qu'accéder à cette initiative; il a donc condédé aux Moraviens de vastes régions de la côte nord, ce qui allait mener à la fondation des villages de Nain, Okak, Hopedale et Hebron.

Les chroniques des premiers missionnaires décrivent des Inuit dont le mode de vie est toujours fortement imprégné de traditions, en dépit de siècles de contacts et de conflits avec plusieurs groupes d'Européens. Ils chassaient le gibier tout au long de l'année pour se nourrir et pour en tirer les matières premières requises pour la confection des articles d'usage courant. Ils voyageaient soit dans des kayaks monoplace, soit dans de grandes barques aux membrures de bois tendues de peaux de phoques. Leurs vêtements d'été étaient fabriqués en peaux de phoques et ceux d'hiver en peaux de caribous. Durant la belle saison, ils habitaient des tentes de peaux; l'hiver, ils vivaient dans des huttes de terre flanquées de mottes, au toit soutenu par des vertèbres et des omoplates de baleines, ou encore dans des maisons de blocs de neige durcie ingénieusement agencés.

Gravure représentant les Inuit de la côte du Labrador, 1818
Gravure représentant les Inuit de la côte du Labrador, 1818
Vers la fin du XVIIIe siècle, les missionnaires moraviens s'étaient établis le long de la côte du Labrador. Les textes et les illustrations comme la présente gravure constituent de précieux témoignages sur l'habillement des Inuit au tournant du XIXe siècle, puisqu'il ne subsiste pas de vêtements originaux de cette époque.
Esquimaux Indians of the Coast of Labrador, communiqué par un missionnaire moravien. Dessin de Garret, gravé par Chapman et publié par C. Jones, le 17 octobre 1818. Extrait de Newfoundland: A Pictorial Record, de Charles de Volpi. Longman Canada Limited, Sherbrooke (Québec) © 1972, p. 15.

Les magasins moraviens les approvisionnant en produits importés, les Inuit ont graduellement abandonné leurs voyages vers le sud : leur réseau commercial avait perdu sa raison d'être. Au départ, ils ont d'abord refusé d'abandonner leurs croyances spirituelles au profit du Christianisme, mais les secours prodigués par les missionnaires aux malades, aux vieillards, aux affamés, aux veuves et aux orphelins en ont incité de plus en plus à le faire dès le début du XIXe siècle. Avec le temps, les peuplades originelles ont alors été graduellement absorbées dans les congrégations des postes moraviens, qui sont devenues les lieux de séjour de la majorité des Inuit en hiver.

L'abandon graduel du sud du Labrador par les Inuit a encouragé les Anglais à y élargir leurs activités de pêche et à s'y installer à demeure. Bien des pêcheurs allaient épouser des femmes inuit, donnant le jour à des familles dont les descendants habitent encore la région à ce jour.

Femme et enfants inuit, Labrador
Femme et enfants inuit, Labrador
Avec la gracieuse permission des The Rooms Provincial Archives Division (B10-148).

Au cours du XIXe siècle, les populations inuit du nord ont souffert de fréquentes épidémies; un taux de mortalité élevé décimait les missions. La pire de ces épidémies est survenue en 1918 à Okak et à Hebron, la grippe y tuant le tiers de la population Inuit.

Aux XIXe et XXe siècles, de plus en plus dépendants de l'économie de marché, les Inuit ont adopté de nouvelles techniques pour tirer leur subsistance d'industries centrées sur la capture du phoque au filet, la trappe du renard et la pêche de la morue, de l'omble arctique et du saumon. L'aménagement d'une base aérienne militaire à Goose Bay en 1942 et, par la suite, celui de bases de radar sur le littoral ont permis à plusieurs Inuit de trouver des emplois rémunérés. Au cours des années 1950, les habitants de deux villages nordiques, Okak et Hebron, ont été contraints de déménager dans d'autres localités, les autorités religieuses, médicales et gouvernementales ayant statué que la vie dans de plus grands centres améliorerait leur bien-être social et économique. Au contraire, ce déménagement allait profondément bouleverser la dynamique historique et culturelle de la côte nord, et avoir un impact durable sur les familles affectées.

En 1973, la Labrador Inuit Association (LIA) était mise sur pied pour promouvoir la culture et défendre les droits ancestraux des Inuit sur leurs territoires traditionnels de chasse et d=occupation. La LIA a officiellement présenté ses revendications territoriales aux gouvernements fédéral et provincial en 1977. Depuis, l'association essaie de négocier un règlement qui définira la juridiction des Autochtones sur le nord. La LIA compte quelque 4 000 membres, surtout regroupés dans cinq villages côtiers : Nain, Hopedale, Postville, Makkovik et Rigolet.

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